Les présidents d'Azerbaïdjan, de Georgie et de Turquie, ainsi que le secrétaire américain à l'Energie et son homologue européen, ont symboliquement ouvert les vannes du nouvel oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. L'ouvrage a une portée économique mais également géostratégique.
Depuis son point de départ à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan, jusqu'au terminal, dans le grand port du sud-est de la Turquie, Ceyhan, l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan s'étire sur 1 765 kilomètres. Ce nouveau pipe-line ne traverse pas l'Arménie mais il s'étire sur 445 kilomètres en Azerbaïdjan, 245 kilomètres en Géorgie et 1 070 en Turquie. Quand le nouvel ouvrage sera plein, il transportera du pétrole à la vitesse de deux mètres par seconde grâce à des impulsions données dans des stations de pompage réparties le long de son tracé.
L'inauguration par les responsables politiques azerbaïdjanais, géorgien et américain donne le coup d'envoi d'une série de tests et marque le début du remplissage du tuyau. Quand le BTC sera opérationnel, en principe à la fin de l'année, il fournira un million de barils par jour, soit 50 millions de tonnes de pétrole par an aux marchés occidentaux.
Un million de barils par jour
L'Europe et la Méditerranée sont approvisionnées par du pétrole algérien, libyen et norvégien. Il n'y a pas de manque en perspective dans cette zone. Une grande partie du pétrole de la mer Caspienne qui arrivera dans le port turc de Ceyhan repartira pas tankers vers les Etats-Unis. Depuis les origines du projet BTC, Washington s'est constamment impliqué dans la réalisation de ce nouveau pipeline. Le pari économique était risqué. Mais ce nouvel oléoduc augmente la valeur du pétrole de la Caspienne puisqu'il le conduit dans une grande région de consommation. Et il diminue la dépendance des Etats-Unis vis-à-vis de leur approvisionnement en pétrole au Moyen-Orient.
Les grandes compagnies qui ont misé sur la réussite commerciale du BTC sont toutes occidentales, en dehors des compagnies azerbaïdjanaise, géorgienne et turque impliquées dans la réalisation de ce projet. Le britannique BP est l'actionnaire le plus important du consortium avec 30% des parts. BP a eu la responsabilité de la conception et de la réalisation du projet. Il a coûté 4 milliards de dollars au lieu des 3 milliards prévus à l'origine.
D'abord des compagnies occidentales
Outre British Petroleum, le consortium regroupe dix autres sociétés : Socar (compagnie nationale d'Azerbaïdjan) ; TPAO (Turquie) ; Statoil (Norvège) ; Unocal, Amerada Hess, ConocoPhillips (Etats-Unis) ; Itochu, Inpex (Japon) ; Eni (Italie) et enfin la compagnie pétrolière française Total. Ces compagnies pétrolières se connaissent bien, elles sont déjà associées pour exploiter du pétrole dans d'autres régions du monde. Ces compagnies ont apporté le tiers du financement, les deux tiers restants ont été fournis par des banques gouvernementales américaine et japonaise, par la Banque mondiale et par la BERD.
La Caspienne est au troisième rang des réserves mondiales de pétrole et pour la première fois, ce pétrole va parvenir sur les marchés internationaux sans transiter par la Russie. Jusqu'à présent, les pays producteurs de la mer Caspienne n'avaient pas d'autre choix que de passer par le réseau d'oléoducs russes, un réseau datant de l'Union soviétique que les professionnels estiment cher et mal entretenu. L'Azerbaïdjan et le Kazakhstan, qui vient d'annoncer son intention d'alimenter lui aussi le nouvel oléoduc en pétrole, ne dépendront plus des prix imposés par la Russie. L'indépendance économique est également politique. Il y a 11 ans, lorsque le projet est né, après l'éclatement de l'Union soviétique, personne ne savait ce que deviendraient les ex-républiques de l'URSS après plusieurs décennies d'économie étatique. Les Américains ont pourtant soutenu le projet dès l'origine, probablement autant pour distendre les relations entre Moscou et le Caucase que pour élargir l'offre mondiale de pétrole. La plus grande mer fermée du monde représente de 2 à 6% des réserves mondiales.
Une région sous influence
Moscou n'a donc pas soutenu la réalisation du Bakou-Tbilissi-Ceyhan qui lui fait perdre de l'influence politique et économique sur d'anciennes républiques soviétiques. En revanche pour la Turquie, qui accueille le plus long segment du pipeline, et qui est membre de l'Otan, le BTC montre qu'Ankara est bien dans le camp des Américains. En plus, le nouvel oléoduc permet de soulager le détroit du Bosphore, très sollicité pour toutes sortes de transport, plus ou moins polluants.
Cet oléoduc, dont la valeur est autant stratégique qu'économique, ne prend pas le chemin le plus direct depuis les champs pétroliers de la Caspienne jusqu'à Ceyhan, le grand port pétrolier du sud-est de la Turquie. Le tracé le plus logique passait par l'Iran. Mais Téhéran n'est pas un partenaire possible en affaires puisque l'Iran se trouve sur la liste des pays ennemis de Washington.
Avec ce nouvel oléoduc, l'approvisionnement des pays occidentaux s'enrichit, se sécurise. «Certains ne croyaient pas en la réalisation de ce projet», a déclaré le président azerbaïdjanais Ilham Aliev. «Certains ont tenté de le perturber, mais le soutien des Etats-Unis et l'activité déployée par BP ont aidé à le mettre en œuvre», a-t-il ajouté. «L'oléoduc joue un grand rôle en termes de stabilité et de sécurité dans la région. C'est un bon exemple de coopération économique régionale» a poursuivi le président azerbaïdjnais.
Samuel Bodman, secrétaire américain à l'Energie, a lu un message du président Bush expliquant que le BTC est à même de «renforcer la sécurité énergétique mondiale, d'encourager la coopération régionale et d'accroître les opportunités d'investissements internationaux».
par Colette Thomas le 25 mai 2005