Je picorais des JT sur Internet – mon téléviseur boude toujours, vexé de ne pas être raccordé à la fibre. Je cherchais quelque chose. Très précisément, le compte-rendu de la visite de Nicolas Sarkozy au Kazakhstan. Selon une dépêche de l’AFP, il devait atterrir à l’aéroport d’Astana le mardi 6 octobre à 9 heures du matin (heure locale).
J’adore le Kazakhstan. La splendeur sauvage des steppes d’Asie centrale. Un jeune Etat plein d’avenir, à l’image de son président Noursoultan Nazarbaïev. J’en suis tombé amoureux (du Kazakhstan, pas de son président) grâce à la série documentaire
Chris Ryan : Police d’élite et à son épisode consacré aux admirables Sonkar, des unités commandos qui « protègent » avec doigté et détermination cette démocratie aussi vigoureuse que prometteuse dans les domaines du gaz, du pétrole et de l'uranium.
Notre Président au Kazakhstan, voilà bien un scénario épique sur lequel les services de communication de l’Elysée et les journalistes des JT devaient ourler une saga endiablée. Pourtant, elle m’avait échappée. A cause de mon téléviseur boudeur. Tombé en carafe justement ce jour où le Kazakhstan s’étalait à la une de l’actualité. Ce dimanche, alerté par les impayables « Kazakhes chocs » du Panique au Mangin Palace de France Inter, je décidai de me rattraper sur Internet.
Rien dans les JT du lundi. Je pensais que les télés allaient annoncer l’envol de Notre Président, écrire le prologue d’un récit lyrique qui nous conterait par le menu, steppe by steppe, les aventures de notre Michel Strogoff du XXIe siècle. Mais non, rien. Certains parlaient bien de « Sarkozy au secours des PME fragilisées par la crise » mais ça n’avait rien à voir avec des chevauchées fantastiques.
Rien dans les JT de mardi sur TF1 et M6. Pas même une brève, le jour même de la visite historique de Notre Président ! Soit je suis victime d’un complot : ma connexion Internet a décidé de se solidariser avec ma connexion au câble et de saboter mon amour pour l’Asie centrale jusqu’à ce que sa collègue soit réhabilitée. Soit ce sont TF1 et M6 qui sont eux-mêmes victimes d’un complot : les deux chaînes privées sont noyautées par l’ultragauche antikazakhe.
France 2 ne fit guère mieux. Certes, le service public ne niait pas l'événement mais David Pujadas se contentait d’une brève en images avec un minuscule extrait du discours présidentiel. C’est tellement riquiqui que je vous le livre en intégralité. « En bref, une visite express pour le président Sarkozy au Kazakhstan, en Asie centrale. Voyage marqué par une série d’accords de coopération et de contrats commerciaux pour près de 4 milliars d’euros pour la construction d’un oléoduc, d’un tramway ou encore l’exploitation du gaz de la mer Caspienne. Nicolas Sarkozy, pressé de questions aussi sur le non-respect des droits de l’homme au Kazakhstan. On écoute le président de la République : “Je pense également que la meilleure façon de résoudre les problèmes, car il y a des problèmes et j’en ai parlé avec le président, c’est pas forcément de venir en donneur de leçon. C’est de venir en ami pour essayer de trouver des solutions.” »
Où David Pujadas a-t-il entendu que Notre Michel Strogoff parlait de « non-respect des droits de l’homme » ? [Notons le singulier euphémisme qui consiste à remplacer « violations » par « non-respect »… Plus étrange encore : quand une joggueuse se fait violer et assassiner à Milly, les JT emploient assez peu l’expression « non-respect des joggueurs ».] Dans son discours, Notre Président ne prononce jamais les mots « droits de l’homme » et encore moins « non-respect ». Il parle seulement de « problèmes ». Il suffit de lire le nom des entreprises bénéficiaires des contrats signés avec son « ami » pour comprendre que les « problèmes » en question sont purement d’ordre écologique : Areva, Total, GDF-Suez, Vinci, EADS, Alstom, Thales… Des PME françaises qui, ayant pris conscience depuis longtemps des enjeux du réchauffement climatique, ont acquis une formidable avance technologique dans le domaine des énergies renouvelables et des armements durables. [Notons encore que Vinci, entreprise de BTP qui construit des oléoducs écolos, est le principal concurrent de Bouygues – mais cela ne saurait justifier le silence de TF1].
Si Nicolas Sarkozy, dont on sait qu’il est obsédé par l’écologie, a pris la peine de boire du lait de jument fermenté avec son homologue Noursoultan Nazarbaïev, c’est donc pour défendre les principes du Grenelle de l’environnement jusqu’au Kazakhstan. Alors, pourquoi aucun JT n’en dit mot ? Que signifie cette terrible omerta ? Ça ne se passera pas comme ça ! Je m’élève avec vigueur (comme on dit dans les JT) contre cette censure manifeste. Je vais de ce pas saisir le CSA pour « non-respect du Kazakhstan et de Notre Président ».
Par samuel Gontier sur television.telerama.fr