La lutte d’influence que se livrent les deux principaux groupes d’influence kazakhstanais vient de connaître un nouvel épisode avec la nomination de Timour Koulibaev au poste de président de la compagnie pétrolière et gazière publique KazMunaiGaz.
Samruk, la holding qui gère KazMunaiGaz, a annoncé le 27 juin le renouvellement de son conseil d’administration et la nomination de Timour Koulibaev, à la tête de KazMunaiGaz. A 39 ans, le gendre du président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaev, est déjà un vieux routier du secteur des hydrocarbures. Entre 2002 et 2005, il était le vice-président de KazMunaiGaz.
Les principaux leviers économiques sont entre les mains de la famille Nazarbaev. Timour Koulibaev et sa femme, Dinara Nazarbaeva, contrôlent Halyk, la troisième banque du pays. Dariga, la fille aînée du président, et son mari, Rakhat Aliev, disposent d’actifs importants dans les médias.
La nomination de Timour Koulibaev à la tête de KazMunaiGaz renforce un peu plus le contrôle du clan Nazarbaev sur l’économie kazakhstanaise. Elle « signifie que la famille Nazarbaev augmente son pouvoir », affirme Bolatkhan Taizhan, analyste politique et ancien ambassadeur du Kazakhstan en Malaisie. « Nazarbaev semble avoir réussi à placer directement entre ses mains le secteur le plus important de l’économie nationale » poursuit-il. « Bien sur, avant la nomination de Koulibaev, tous les secteurs de l’économie étaient sous le contrôle du président. Mais avec la nomination de son gendre à ce poste, le contrôle du président sur ce secteur sera plus direct », affirme-t-il. Récemment, un partisan de longue date du président Nazarbaev, Kairat Kelimbetov, a été nommé à la direction du fonds qui gère une partie des recettes pétrolières pour les générations futures.
Certains analystes voient dans ces nominations le signe de la mise à l’écart du couple Dariga/Rakhat au profit de Timour Koulibaev, jugé par le président du Kazakhstan plus fiable et plus loyal que sa fille aînée et son fougueux mari. Elles interviennent également quelques mois après l’élimination violente d’un des leaders de l’opposition et la mise en accusation de proches de M. Koulibaev.
Dans un rapport publié en novembre 2005, le centre eurasiatique de recherches politiques d’Almaty présentait les « groupes d’influence » à l’œuvre au Kazakhstan. Par « groupe d’influence », le rapport définit « un groupe organisé qui utilise son pouvoir financier et économique et sa capacité de pression pour acquérir ou essayer d’acquérir des moyens d’influencer les organes législatifs et exécutifs dans le but de faire valoir certains intérêts ou forces ». Néanmoins, les relations entre les différents groupes ne se font pas sans heurts et le rapport évoque « l’émergence d’un conflit au sein de l’élite » dans la perspective de la succession du président kazakhstanais.
Le rapport souligne que « le facteur tribal » (hordes, clans), que certains observateurs mettent en avant pour expliquer les connections et les soubresauts de la politique locale, connaît un déclin depuis l’indépendance du Kazakhstan. « Les groupes d’influence actuels se sont formés sur la base de loyautés personnelles et d’affiliations et interagissent entre elles de manière pragmatique en fonction d’intérêts puissants », précise le rapport.
À l’écart de ces compétions, endossant le rôle d’arbitre et d’acteur, se trouve le groupe d’influence lié au président Nazarbayev. Il joue le rôle d’arbitre des luttes au sein de l’élite politico-financiaro-économique du Kazakhstan. « Les luttes politiques entre les groupes n’ont pas pour enjeu la conquête de l’électorat mais l’influence sur le chef de l’État », affirme le rapport. À tout moment, celui-ci peut modifier ou suspendre les règles du jeu ou exclure un compétiteur. Il est également acteur dans le sens où il se doit de maintenir un équilibre entre les différents groupes afin d’éviter tout débordement.
Le rapport recense quatre groupes d’influence et les classe en fonction de leur poids, de plus au moins influent. Sans surprise, on trouve à la tête de ce classement le couple Dariga Nazarbayeva/Rakhat Aliev. Il s’appuie sur l’empire des médias qu’il a constitué pour peser sur l’opinion. Mais, sa surface financière et son absence des milieux industriels semblent le desservir, tout comme les manœuvres agressives employées dans le passé par Rakhat Aliev qui lui valent de nombreuses inimitiés.
Le deuxième groupe en terme d’influence est celui incarné par Timour Koulibaev. Selon le rapport, ce groupe, qui dispose de solides intérêts dans l’industrie, est plus puissant que celui qui entoure le président. Toutefois, les principaux accusés de l’assassinat le 13 février dernier de l’opposant Altynbek Sarsenbaev appartiennent à ce groupe.
Nourzhan Subkhanberdin, président de la Kazkommertsbank, plus importante banque privée du Kazakhstan, est la figure de proue du troisième groupe. Très proche du groupe précédent, ce troisième cercle rassemble les milieux industriels et financiers déçus par le manque de réformes.
Enfin, le rapport identifie un quatrième groupe présent dans l’industrie métallurgie. Baptisé « groupe eurasien » car il rassemble essentiellement des Kazakhstanais qui n’appartiennent pas à l’ethnie kazkah, ce qui lui vaut d’être considéré comme étranger par les autres groupes. Sa position l’oblige à soutenir le président Nazarbayev afin d’éviter d’être évincé. Celui-ci l’utilise afin de contrebalancer l’influence des groupes liés à son cercle familial. Parmi les principales figures de ce groupe, citons les hommes d’affaires Aleksandr Mashkevich, Patokh Shodiev et Alidzhon Ibragimov.
D’autres cercles d’influence existent autour de groupes industriels et financiers, de proches du président Nazarbayev, de politiciens et de solidarités régionales.
Peu avant l’annonce de la promotion de Timour Koulibaev, Dariga Nazarbaeva avait appelé les partis pro-présidentiels à s’unir au sein d’une seule formation politique. Selon elle, un tel parti serait sans rival pour les cinquante prochaines années. Le camp présidentiel se compose de trois partis, Asar, Otan et le Parti civique.
Selon Serik Abdrakhmanov, député du parti Otan, les déclarations de Dariga Nazarbaeva peuvent s’interpréter dans la perspective des élections législatives qui doivent se dérouler en 2007. « Les élections législatives pourraient se dérouler au scrutin de liste », a-t-il dit. « Il pourrait y avoir plus de sièges de député. Peut être que (les (déclarations de Dariga Nazarbaeva) ont été faites dans ce sens », a-t-il estimé.
Avec RFE/RL, AP et Interfax-Kazakhstan
www.bassirat.net samedi 8 juillet 2006