Le Kazakhstan est remarquablement ouvert aux investissements étrangers mais le climat est assombri par la corruption et les luttes d'influences entre clans.
A l'inverse des autres pays d'Asie centrale, Astana a choisi très clairement une stratégie d'ouverture aux investissements directs étrangers (IDE) dès sa sortie de l'URSS. Le Kazakhstan a d'ailleurs attiré un stock total de 60 milliards de dollars d'IDE, un chiffre qui compte peu d'équivalents pour un pays émergent de cette taille. Car les multinationales ne sont en rien considérées ici " comme des prédateurs venant piller le sous-sol. On sait qu'elles viennent pour faire de l'argent, mais l'Etat trouve son compte dans leurs activités ", explique un économiste de JP Morgan. Par sécurité, le gouvernement a cependant fait voter une loi en 2007 permettant de renégocier tout contrat quand les intérêts du pays sont en jeu. Il est vrai que les premiers accords de partage de production au lendemain de l'indépendance du pays ne laissaient qu'une portion congrue des recettes à Astana, car à l'époque les institutions étatiques n'étaient pas fermement établies. Le champ de Kashagan, censé contenir autant de pétrole que tous les Etats-Unis, dont la découverte en 2000 était la plus importante depuis 1968, a été ainsi l'objet d'un bras de fer mémorable. Au prétexte que, pour cause de difficultés techniques spectaculaires, le champ ne serait pas exploité en 2005 comme prévu (on parle maintenant de 2012) Nursultan Nazerbaïev avait menacé de fortes amendes les majors qui le gèrent, l'italien ENI en tête. Ces menaces avaient été levées en échange d'une prise de participation de 17 % de Kazmunaigaz au sein du consortium. Des pressions " viriles mais correctes " résume un expatrié du secteur pétrolier qui estime que " en Russie l'Etat aurait sans doute presque tout exproprié... ". D'ailleurs, tous secteurs d'activité confondus " si aucun investisseur étranger d'envergure n'a plié bagages, c'est que le cadre juridique et fiscal paraît sûr ", souligne Karl Johansson, du cabinet Ernst & Young. Les multinationales vont avoir l'occasion de tester leur flegme. Astana s'est déclaré il y a quelques jours " intéressé " par une participation dans le champ géant de Karatchaganak, l'un des trois principaux champs du pays, opéré par ENI et le britannique BG...
Les pouvoirs publics ont aussi conscience des effets pervers d'une rente pétrolière assurant toujours la moitié des recettes en devises, et se sont donc lancés dans une stratégie volontariste de diversification. Même si Nurbek Rayev, le vice-ministre du Commerce et de l'Industrie, reconnaît que les Kazakhs ne deviendront " sans doute jamais exportateurs d'écrans de télévisions ", le gouvernement mise sur ses " projets favoris " dans les secteurs stratégiques, tourisme, agroalimentaire, machines outils et métallurgie. Ancien ingénieur métallurgiste, Nursultan Nazerbaïev a annoncé sans ambages récemment que les projets des multinationales de l'énergie seraient validés à l'aune de ce qu'elles proposent en matière de diversification. En clair, un projet dans l'énergie doit désormais compter un volet dans l'industrie de transformation, voire le sponsoring d'activités culturelles ou de formation. Les entreprises françaises, qui rattrapent leur retard après un départ timide, puisqu'elles figurent désormais au cinquième rang en matière d'investissements (mais au dixième seulement pour les échanges commerciaux), derrière les américaines, les russes et les chinoises, peuvent disposer d'atouts sur ce plan.
Cependant, même si le Kazakhstan tient à son image de marque de pays accueillant et prévisible pour les investisseurs, le cadre institutionnel est très perfectible. " Le système judiciaire se conçoit d'avantage comme un bras du pouvoir exécutif que comme le garant des droits de propriété " estime la Fondation Heritage, un think tank américain, dans son index annuel de liberté économique. Piratage et contrefaçon sont répandus, tandis que l'ONG de référence en matière d'évaluation de la corruption dans le monde, Transparency International, classait l'an dernier le Kazakhstan au 120ème rang sur 180 (une amélioration toutefois de trente places en deux ans).
Surtout, les entreprises étrangères peuvent être prises dans les turbulences liées aux luttes " musclées " entre clans au pouvoir à coups d'arrestations et de faillites. Tel homme d'affaires bien en cour peut se retrouver en prison ou en fuite du jour au lendemain. Depuis Londres, où il a trouvé refuge, Mukhtar Ablyazov, le président de la principale banque privée kazakh, BTA, clame ainsi qu'il est victime de persécutions politiques, après la nationalisation en février 2009 de son établissement. Astana réplique qu'il fallait éviter une crise systémique après que 9,5 milliards de dollars se soient volatilisés sur des comptes offshore. Le système financier local a aussi été déstabilisé par la faillite d'une autre banque de premier plan, Alliance. Les dirigeants de cette dernière ont rejoint en prison il y a quelques mois Moukhtar Djakichev, le patron de Kazatomprom. Engagé par ailleurs dans une stratégie très pro-chinoise, ce dernier est accusé de s'être emparé secrètement de 60 % des mines d'uranium du pays, d'une valeur de plusieurs dizaines de milliards de dollars, via un réseau de société offshore. Pour faire bonne mesure, le pouvoir l'accuse d'être lié au président de la BTA et à Rakhat Aliev, ancien vice-ministre des Affaires étrangères et gendre déchu du président Nazerbaïev. Ce dernier a trouvé refuge en Autriche après avoir été accusé de kidnapping et tentative de coup d'Etat. Il dénonce pour sa part la loi autorisant Nursultan Nazerbaïev à présider le pays indéfiniment. Toutes ces affaires dressent un monde des affaires à la brutalité un peu vertigineuse, mais qui n'inquiète que modérément les multinationales ; le " gâteau ",il est vrai, est tellement alléchant...
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