Y aller c'est marcher sur du sang !
Le long calvaire des Russes d'origine allemande .
Derrière presque chaque porte de Karaganda, il y a une histoire très lourde. Celle des fils et filles d' "ennemis du peuple", déportés pendant les purges staliniennes, dans les années 1930. Des milliers de vies brisées, de familles dispersées dans les camps soviétiques, dont les descendants sont aujourd'hui entassés dans les barres d'immeubles grises et délabrées de cette ville industrielle du Nord Est du Kazakhstan.
Une histoire très lourde !
Là, au milieu de la steppe, dans ce que fut le Karlag, un Goulag grand comme plus du dixième de la France, aucun "travail de mémoire" n'est à l'oeuvre. "Les gens ne dramatisent pas cette histoire. Peut-être parce que nous sommes en Orient, ils l'acceptent comme leur destinée, avec humilité. Ils sont moins individualistes qu'en occident où on ausculte son moi et ses souffrances en permanence", estime Monseigneur Athanasius, évêque catholique de Karaganda, un Allemand fils de déportés du Goulag.
Est-ce à dire que ce passé n'est pas douloureux ?
Certainement pas. Mais ce refus de se concentrer sur lui "atténue la peine et n'amène pas à chercher des coupables", estime Mgr Athanasius qui y voit une "noble attitude permettant la réconcilation avec le passé." Une non-dramatisation de l'histoire qui résulte en partie d'une mémoire à moitié regardée en face, en partie, au contraire, d'esquives, suscitées par le contexte politique.
Karaganda Karlag !
A Dolinka, à une vingtaine de kilomètres de Karaganda, bourgade qui fut le siège de la direction du Karlag, géré par le NKVD, l'ancêtre du KGB, Loudmila nous reçoit dans sa petite isba aussi blanche que la neige qui la couvre. Dans son modeste intérieur, décoré de fleurs en plastique, cette Biélorusse s'empresse de nous montrer les documents de 1956 réhabilitant sa famille.
"«Vous voyez, nous n'étions pas coupables", affirme-t-elle, emmitouflée dans un épais châle de laine, avec le ton de quelqu'un qui veut convaincre son juge. Un demi siècle après la réhabilitation officielle, cette fille d'une déportée de Kaliningrad brûle toujours de savoir pourquoi sa mère a été arrêtée.
Quel crime a-t-elle commis ?
"Quel crime a-t-elle commis ?", se demande-t-elle en déballant des coupures de journaux auxquels elle a raconté sans fin, depuis la perestroïka, l'incompréhensible histoire. Comme beaucoup à Karaganda et dans ses environs, Loudmila ne manque jamais Jdi minia ("Attends-moi"), une sorte d' «Avis de recherche» hebdomadaire de la télévision russe qu'elle regarde comme si elle pouvait un jour y retrouver ses trois frères. Elle vit ainsi par procuration la recomposition de familles qui se retrouvent sous l'oeil des caméras. Non loin de chez elle, vivotte le minuscule musée dédiée au Karlag.
Le lieu est désert .
Dans la première salle, un bout de fil barbelé posé sur une biographie de Staline laisse entendre que le "Petit père des peuples" porte une responsabilité dans la déportation des 800.000 vies passées par le Karlag.
Mais à peine se retourne-t-on qu'on découvre un grand tableau de propagande, "peint par un prisonnier", montrant Lénine assis à une table en discussion avec des camarades tandis que, derrière lui, Staline considère une carte de l'électrification de l'URSS.
Le musée est appelé à être remplacé par un plus grand, logé dans l'ancien siège du Karlag, en ruine , à quelques centaines de mètres de là. Les autorités kazakhes parlent volontiers des années noires. "«Ce n'est pas comme en Russie ici, le pouvoir ne bloque pas la mémoire au sujet des mauvais côtés du passé soviétique.
Des dizaines de millions de victimes !
Des millions de Kazakhs en ont aussi été victimes", explique Ekaterina Kouznetsova, une journaliste qui fut parmi les premières à publier des articles lorsqu'il devint possible de parler du Karlag, à la fin des années 1980. Les autorités kazakhes ont même créé une journée de commémoration pour les «victimes de la répression totalitaire», le 31 mai.
Le thème permet à l'ancien apparatchik devenu président de la République indépendante, Noursoultan Nazarbaev, d'articuler sa politique nationaliste sur l'idée de la liberté arrachée aux Russes et aux soviets. Malgré tout, on ne peut pas dire que les commémorations des soixante-dix ans du début des purges staliniennes aient donné lieu à de grandes célébrations à Karaganda, comme partout ailleurs en ex-URSS.
Un dictateur en héros ! Le "grand ami de l'humanité" !
Au Kazakhstan aussi Staline demeure un personnage ambigu .
Dans le musée régional de Karaganda, une demie-salle est consacrée au Karlag . partagée avec la "Grande guerre patriotique" où le dictateur est présenté comme un héros ayant abattu le monstre nazi.
Pas une allusion au Staline qui a expédié 40 millions de soviétiques au Goulag «Les employés du musée ne sont pas des professionnels de l'histoire, explique Ekaterina Kouznetsova.
Le crime au niveau national !
Au niveau national la condamnation est sans ambiguïtés."
Dans le quartier de Maïkodouk, dans le Gymnasium n° 9 (collège lycée), situé au milieu d'immeubles construits par des prisonniers de guerre japonais, Svetlana anime ses "ateliers libres" dédiés au Karlag.
"Je suis moi-même fille de Zek (prisonnier dans le jargon du Goulag). Je sais combien la peur dont nos parents ont été animés toute leur vie nous a été transmise. Ses racines sont encore vivantes C'est pour la détruire que j'ai voulu expliquer à mes élèves ce qu'à été le Karlag.", raconte-t-elle.
Dans le joyeux bazar qui règne dans sa classe, entre deux rangées de livres d'art et d'histoire, une vitrine présente quelques documents et objets du Karlag, apportés par des élèves.
Rien sur Staline !
" Je ne voulais pas mettre une photo de lui et le voir tous les jours", plaisante Svetlana. Même si le Professeur a expliqué sans réserve à ses élèves que Staline était un "despote", elle a renoncé à l'exposer d'une façon ou d'une autre dans cette vitrine car "cela heurterait les anciens combattants de la seconde Guerre mondiale.
La peur n'a pas disparu !
"Le système n'est pas mort, au fond", estime Pavel Shoumkin, un ancien mineur devenu écrivain.
"«Dans la mentalité de Karaganda, l'autorité reste toute puissante. On croit ici qu'on ne peut aller contre elle", pense de fils de Koulak, ces propriétaires terriens considérés comme des ennemis de la révolution par le pouvoir soviétique, déportés en 1937.
Selon lui, c'est particulièrement vrai chez les mineurs, nombreux dans cette région riche en minerais, exploités au départ par les prisonniers du Karlag. "Ils ont même gardé jusqu'à aujourd'hui le vocabulaire des camps pour désigner leurs chefs Ils obéissent aux contrôleurs comme on obéissait aux gardes du Karlag", regrette-t-il.
Sur www.libertaoccidentalis.net le 10 décembre 2010
Source : http://www.leblogde21.com/article-19756561.html et http://gulaghistory.org/items/show/742
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