De l'Équateur à l'Irak, les géants chinois de l'énergie ont profité de la crise financière pour sauter sur des aubaines en termes de pétrole, de gaz et de métaux, faisant pivoter davantage vers l'Est le contrôle des ressources mondiales.
« Peu d'entreprises ont été aussi déterminées ou aussi tenaces que les firmes chinoises dans la course aux bonnes affaires qui a suivi la récession mondiale. »
Projetez-vous dans un conte, dont les personnages principaux seraient deux pays. En matière d'accès aux ressources qui permettent d'alimenter leur industrie, la Chine est devenue l'acheteuse compulsive n°1 de la planète, tandis que les États-Unis restent sagement à la maison. Durement frappés par la récession mondiale, les États-Unis ont vu se réduire drastiquement leur consommation de pétrole et d'autres matières premières stratégiques pour l'industrie. Pas la Chine. Victimes de l'effet paralysant de la crise économique, que les pronostics annoncent longue et persistante, les États-Unis ne peuvent espérer, aux dires des experts, qu'une reprise lente et progressive de la consommation de ressources. Pas la Chine.
Bien au contraire, les Chinois, eux, connaissent déjà une forte augmentation de leur consommation de pétrole et d'autres matières premières. Bien mieux, les gigantesques usines et centrales énergétiques chinoises entreprises publiques pour la plupart anticipant une consommation vorace de ressources avec la reprise de la croissance, se sont offert une véritable orgie de dépenses afin de s'assurer des réserves de ressources adéquates et abondantes. Ainsi, elles se sont empiffrées de gisements de pétrole, de réserves de gaz naturel, de mines, d'oléoducs, de raffineries et d'actifs divers et variés en termes de ressources, s'engouffrant toutes voiles dehors dans une fièvre acheteuse frénétique à l'échelle globale presque sans précédent.
Comme la plupart des autres pays, la Chine a subi les conséquences néfastes de la grande récession de 2008. Ses exportations ont chuté et la croissance économique a ralenti par rapport au niveau record qu'elle avait atteint. Néanmoins, grâce à un plan de relance budgétaire bien ficelé de 4 billions de yuan (586 milliards de dollars), les effets les plus néfastes de la crise n'ont été que de courte durée et la croissance a rapidement retrouvé un rythme explosif. Depuis début 2009, le taux de motorisation et la construction de logement ont connu un bond de géant en Chine nourrissant la crainte d'une bulle immobilière signes du retour à la prospérité. À son tour, ce phénomène alimente la demande de pétrole, de cuivre, d'acier et d'autres matières premières.
Prenez le pétrole. Aux États-Unis, la consommation de pétrole a diminué de 9% au cours de ces deux dernières années, passant de 20,7 millions de barils par jour en 2007 à 18,8 millions en 2009. A l'inverse, sur la même période, la consommation de pétrole de la Chine a augmenté de 7,6 à 8,5 millions de barils par jour.
Tout comme les États-Unis, la Chine puise une partie de son pétrole sur son propre territoire, mais elle doit de plus en plus compléter ses ressources propres par des importations. En 2007, le pays a produit 3,9 millions de barils par jour et en a importé 3,7, mais cette proportion évolue rapidement. En 2020, la Chine ne produira plus que 3,3 millions de barils et devra probablement en importer 9,1 millions. Cette situation, criante de vulnérabilité stratégique, donne du fil à retordre aux décideurs chinois. Dans ce contexte, tout comme l'avaient fait les représentants américains il y a plusieurs décennies déjà, la Chine place ses pions de manière à acquérir le contrôle de sources d'énergie à l'étranger de même que nombre d'autres matières premières vitales, comme le gaz naturel, le fer, le cuivre et l'uranium.
Les industries énergétiques chinoises ont commencé à acheter des firmes étrangères et des entreprises de forage (ou du moins, des parts dans ces entreprises) dès le début du XXIe siècle. Trois grandes compagnies pétrolières étatiques la Compagnie pétrolière nationale de Chine (China National Petroleum Corporation, CNPC), la Compagnie nationale du pétrole offshore Nationale de Chine (China National Offshore Oil Corporation, CNOOC) et la Compagnie pétrolière et chimique de Chine (Sinopec) ont montré l'exemple. Ces entreprises, ou leurs filiales semi-privatisées, commencèrent à engloutir des actifs énergétiques étrangers en Angola, en Iran, au Kazakhstan, au Nigeria, au Soudan et au Venezuela. Dans l'ensemble, ces acquisitions n'étaient encore qu'une broutille comparées à celles des géants occidentaux tels que ExxonMobil, Chevron, Shell et BP. Or, elles signalaient toutefois l'avènement d'une grande nouveauté : l'affirmation de la présence chinoise dans un univers jusqu'alors dominé par les géants occidentaux.
Puis vint le temps de la grande récession. Depuis 2008, la plupart des entreprises rechigne à investir massivement dans des compagnies pétrolières étrangères, craignant le ralentissement prolongé des ventes mondiales. Les entreprises chinoises, quant à elles, n'ont pas même infléchi le rythme de leurs achats. Elles sont encouragées en ce sens par les membres haut placés du gouvernement chinois, qui voient en cette conjoncture une parfaite occasion d'acquérir au rabais des ressources cruciales en prévision d'une future pénurie énergétique.
« La crise financière internationale (...) est un défi autant qu'une opportunité », martelait Zhang Guobao, directeur de l'Administration nationale de l'énergie, au début de l'année 2009. « Le ralentissement conjoncturel (...) a réduit le prix des ressources et des actifs énergétiques internationaux, et facilitera notre quête de ressources extérieures. »
Le gouvernement chinois a donc travaillé bec et ongles pour faciliter une accélération de la ruée pour le contrôle des ressources énergétique étrangères. Entre autres, il a accordé des prêts de long terme à faible taux d'intérêt à d'importantes compagnies chinoises afin de les soutenir dans la chasse aux biens étrangers, ainsi qu'aux gouvernements étrangers disposés à laisser les compagnies chinoises participer à l'exploitation de leurs ressources naturelles. En 2009, par exemple, la Banque Chinoise de Développement (China Development Bank, CDB) a accepté de prêter plus de 30 millions de dollars à la CNPC, sur une durée de cinq ans, en soutien à l'acquisition d'actifs à l'étranger.
Encouragées dans cette voie et soutenues par d'inépuisables fonds de trésorerie, la CNPC et autres grandes entreprises chinoises se sont offert une orgie internationale, s'appropriant des actifs dans tous les types de ressources imaginables et dans des proportions prodigieuses, en Asie centrale, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine. Une liste non-exhaustive de quelques-unes des opérations récentes les plus importantes inclut :
En Avril 2009, la CNPC a formé une joint-venture avec la compagnie nationale pétrolière du Kazakhstan, la Kazmunaigas, État d'Asie centrale riche en énergie, pour racheter une entreprise énergétique kazakh, JSC Mangistaumunaigas (MMG) pour 3,3 milliards de dollars américains (soit 22,5 milliards de yuan). Cette opération n'est que le dernier maillon d'une série d'accords donnant à la Chine le contrôle sur environ un quart de la production pétrolière du Kazakhstan, en plein essor.
En octobre 2009, un consortium mené par la CNPC et le poids-lourd pétrolier BP a remporté le contrat pour développer le champ pétrolifère de Roumaïla en Irak, potentiellement l'un des plus grands réservoirs de pétrole de la planète dans un pays classé au 3e rang mondial des réserves pétrolières. Si ce consortium réussit, la Chine aura accès à l'un des champs pétroliers actuellement les plus prometteurs, qui lui fournira une première base en vue d'une participation accrue dans l'industrie pétrolière irakienne, actuellement en sous-exploitation.
En novembre 2009, Sinopec s'est alliée à l'entreprise étatique équatorienne Petroécuador pour développer deux champs pétroliers dans la province de Pastaza, à l'Est du pays. Sinopec est ainsi devenue un producteur incontournable en Équateur depuis 2005, date à laquelle elle s'était alliée à la CNPC pour acquérir les actifs énergétiques équatoriens de la compagnie canadienne EnCana Corp. pour 1,4 milliards de dollars US (soit 9,6 milliards de yuan).
En mars 2010, la CNOOC International annonça son intention de racheter 50% de Bridas Corporation, entreprise énergétique argentine menant des activités pétrolières et gazières en Argentine, en Bolivie et au Chili.
En mars, PetroChina s'allia à Shell pour acquérir Arrow Energy, l'un des principaux fournisseurs australiens de gaz naturel dérivé du méthane des gisements houillers. Les deux sociétés déboursèrent environ 1,6 milliards de dollars US chacune (soit 10,9 milliards de yuan).
Et encore, ce n'est que pour le secteur énergétique. Les industries minières et métallurgiques chinoises parcourent le monde à la recherche de réserves prometteuse de fer, de cuivre, de bauxite et d'autres minéraux industriels clés. En mars, par exemple, la Compagnie d'Aluminium de Chine (Aluminium Corporation of China), Chinalco, a acquis une participation de 44,65% dans le projet de minerai de fer de Simandou, en Guinée. Chinalco déboursera au profit du géant minier anglo-australien Rio Tinto 1,35 milliards de dollars (soit 9,2 milliards de yuan) pour acquérir ces parts.
Les entreprises chinoises telles que la CNPC, Sinopec et Chinalco ne sont pas les seules à rechercher le contrôle de précieuses ressources à l'étranger. De grandes entreprises occidentales, de même que des compagnies étatiques russes, indiennes, brésiliennes ou autres, se disputent le même terrain. Peu d'entre elles, néanmoins, se sont montrées aussi déterminées ou aussi tenaces que les compagnies chinoises dans leur propension à tirer profit des bas prix consécutifs à la récession mondiale, et peu de pays ont eu autant de moyens à mettre à disposition de leurs entreprises que la Banque chinoise de développement et autres institutions bancaires chinoises, qui leur ont offert un soutien financier extraordinaire.
Lorsque les États-Unis et les autres nations occidentales se remettront enfin de la grande récession, ils découvriront que l'échiquier des ressources mondiales aura évolué en faveur de la Chine. Les producteurs d'énergie et de minéraux qui, autrefois, dirigeaient leur production de même que leur allégeance politique vers les États-Unis, le Japon et l'Europe de l'ouest, considèrent aujourd'hui la Chine comme leur meilleur client et patron. Signe tangible de ce revirement de situation, l'Arabie saoudite a récemment annoncé qu'elle avait vendu l'an dernier plus de pétrole à la Chine qu'aux États-Unis, alors que ceux-ci étaient auparavant leur meilleur client.
Pour l'instant, les dirigeants chinois évitent à tout prix que leurs récentes acquisitions de ressources étrangères n'entraînent des engagements politiques ou militaires qui pourraient générer des tensions avec les États-Unis ou les autres puissances occidentales. Ils martèlent qu'il ne s'agit que de transactions purement commerciales. Néanmoins, impossible de nier l'évidence : les liens accrus de la Chine avec des pays tels que l'Angola, l'Australie, le Brésil, l'Iran et l'Arabie Saoudite, ont des implications politiques qui risquent de ne pas passer inaperçues à Washington, Londres, Paris et Tokyo. Peut-être plus que toute autre évolution récente, la fièvre acheteuse chinoise révèle la façon dont l'équilibre mondial des pouvoirs glisse de l'Ouest vers l'Est.
Par Michael Klare, traduit par Amélie Boissonnet et publié sur www.rinoceros.org le 8 février 2011.
Michael Klare est professeur d'études de paix et de sécurité globale au Hampshire College à Amherst, Massachussets, et a publié récemment 'Rising Powers, Shrinking Planet'. La version originale de cet article a été publiée en anglais par Chinadialogue. Il a été traduit par Amélie Boissonnet, traductrice bénévole pour rinoceros.
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