Entretien avec Mgr Athanasius Schneider, évêque auxiliaire de Karaganda
ROME, Jeudi 8 Juillet 2010 (ZENIT.org) - L'expérience qu'a vécue dans son enfance l'évêque auxiliaire de Karaganda, à l'époque où il fallait fuir les autorités communistes pour aller à la messe, a suscité chez lui une dévotion vraiment particulière pour l'Eucharistie. C'est cette dévotion qu'il souhaite à tout prix partager.
Mgr Athanasius Schneider est secrétaire général de la Conférence épiscopale du Kazakhstan et auteur du livre : «Dominus Est. It is the Lord: Reflections from a Bishop in Central Asia on Holy Communion » (Newman House Press, 2009), dans lequel il explique comment recevoir l'Eucharistie de manière appropriée.
Mgr Schneider est professeur de théologie au séminaire Mary, Mother of the Church de Karaganda depuis 1999. Il a été ordonné évêque à Rome le 2 juin 2006.
Dans un entretien accordé au programme de télévision « Where God Weeps », réalisé par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l'Aide à l'Eglise en détresse (AED), l'évêque parle de son expérience dans l'Église catholique au moment où il vivait sous le régime communiste, de son parcours jusqu'à sa charge actuelle, et des besoins de la communauté au Kazakhstan.
Q : Quand on entend parler du Kazakhstan on ne pense pas tout de suite aux catholiques, or l'Église catholique a des racines profondes dans ce pays. Pouvez-vous nous parler de l'histoire de l'Église catholique au Kazakhstan?
Mgr Schneider : Je voudrais préciser : pas l'Église catholique en soi, mais le christianisme y a des racines profondes.
Aux IIIème et IVème siècle il y avait déjà des signes du christianisme en Asie centrale, et au Moyen Age, on y trouvait aussi des missionnaires de rite latin. Mais la grande présence du christianisme et surtout des catholiques, est liée au régime de Staline.
A la fin des années 30, Staline a fait déporter des millions d'européens au Kazakhstan, qui est devenu un énorme camp de concentration dans lequel, tout à coup, se sont retrouvés presque un demi million de catholiques.
Cette présence était toutefois caractérisée par la souffrance et l'Église ne pouvait exister que dans la clandestinité.
Q : Vous êtes allemand. Comment êtes-vous arrivé au Kazakhstan?
Mgr Schneider : Mes parents faisaient partie des allemands implantés en Mer noire, près d'Odessa. Vers la fin de la seconde guerre mondiale, les forces armées allemandes ont pris tous ces gens (300.000 personnes) et les ont conduits à Berlin pour les protéger des russes.
Et quand l'armée russe a occupé Berlin, ces personnes ont été reprises et condamnées aux travaux forcés, mais dans trois lieux distincts : Kazakhstan, Sibérie et l'Oural.
Mes parents ont fini dans les montagnes de l'Oural. Ils ont été condamnés aux travaux forcés et c'est un miracle s'ils ont survécu. Après leur libération, ils sont allés en Asie centrale, s'installant d'abord au Kirghizistan, une petite république à la frontière avec la Chine , un peu plus bas que le Kazakhstan.
C'est là que je suis né et que j'ai vécu mon enfance. Puis du Kirghizistan ils sont allés s'installer en Estonie qui faisait encore partie de l'Union soviétique. J'y ai vécu quatre ans.
Nous avions une église à 100 kilomètres de distance mais c'était le seul endroit que nous avions pour aller à la messe.
Q : Chaque dimanche vous faisiez 100 kilomètres?
Mgr Schneider : Une fois par mois, car nous ne pouvions nous le permettre. Nous étions quatre enfants plus nos parents.
Q : Comment vous déplaciez-vous, en voiture ?
Mgr Schneider : En train. Mais c'était aussi dangereux, car en ce temps-là le gouvernement communiste interdisait aux enfants de participer à la messe.
Seuls les adultes pouvaient y aller, mais nous étions quatre enfants. Alors mes parents décidèrent de prendre le premier train du matin quand il faisait encore nuit, de manière à être moins visibles. Je me souviens de notre premier voyage, un voyage inoubliable pour moi.
J'étais un enfant de 10-12 ans et ces excursions, ces voyages, pour participer à la messe étaient inoubliables. Le soir nous prenions le dernier train, quand le ciel était déjà sombre.
Ces dimanches-là, nous les passions en compagnie de notre curé qui n'avait qu'une petite pièce, pas une maison, mais qu'une toute petite pièce qui faisait en même temps office de cuisine, de chambre à coucher et de bureau. Nous restions là car nous étions la famille qui venait de loin.
C'est là que je me suis confessé la première fois et c'est là aussi que j'ai fait ma première communion avec ce saint prêtre qui avait lui aussi été emprisonné à Karaganda auparavant.
Q : Quand vous étiez au Brésil, votre supérieur vous a envoyé suivre vos études à Rome pour un doctorat en patrologie. Durant votre séjour à Rome, vous avez été nommé conseiller général de l'ordre et rêviez toujours de revenir au Brésil à la fin de votre mandat. Or, vous avez rencontré une personne qui a donné un nouveau tournant à votre vie?
Mgr Schneider : Oui, quelqu'un m'a dit qu'il y avait un prêtre qui venait d'arriver du Kazakhstan (je n'avais jamais été au Kazakhstan, j'avais été au Kirghizistan). Et l'on m'a dit qu'il voulait me parler. Je ne connaissais pas ce prêtre, ni lui ne me connaissait.
Mais il m'a dit : « nous avons fondé un séminaire à Karaganda et nous n'avons pas de professeurs. Pourriez vous venir nous aider? ». Et voila, il m'a invité.
Q : Comment décririez-vous la foi des habitants?
Mgr Schneider : La foi des habitants est une foi marquée par la souffrance pour nos martyrs - témoins de la foi, et par la situation de persécution dont l'Église est victime. La population essaie donc d'entretenir cette foi, de la vivre, de donner une grande valeur aux sacrements, au caractère sacré, à la dignité du prêtre.
Q : L'ex-Union soviétique a souffert 70 années d'athéisme d'État. Les blessures de cet athéisme d'État sont-elles encore visibles dans le cœur des personnes?
Mgr Schneider : Cet athéisme, qui était intrinsèquement matérialiste, a entraîné une destruction du surnaturel, des valeurs spirituelles. Par exemple, l'alcoolisme s'est davantage répandu, car la vie des gens n'avait pas de sens sans spiritualité, sans valeur spirituelle.
Un vide s'est créé, qui a grandi durant la période du communisme. La famille a été détruite par le matérialisme ; des pratiques, comme le divorce et l'avortement, se sont répandues.
Ce matérialisme a détruit le sens des valeurs spirituelles.
Q : Vous avez écrit un ouvrage : « Dominus Est. It is the Lord: Reflections from a Bishop in Central Asia on Holy Communion », où vous soutenez l'opportunité de reconsidérer la modalité de recevoir la communion avec les mains et s'il ne serait pas mieux de la recevoir directement dans la bouche et agenouillés. Qu'est-ce qui vous a amené à penser cela?
Mgr Schneider : Pour moi ce n'est pas une nouveauté. Je l'ai vécue comme ça toute ma vie. Je recevais la communion durant la persécution, et cette dévotion était tout à fait naturelle pour moi.
On me disait que Dieu y était vraiment présent. Donc s'agenouiller devant le « Très saint sacrement » était totalement naturel.
Ma mère aussi la vivait comme ça, du temps de la persécution. Un jour elle a sauvé un prêtre de la police, dans l'Oural, où elle avait été déportée. Puis alors que ce prêtre devait partir, ma grand-mère qui était très malade a demandé à ma mère de se faire donner par un prêtre une hostie consacrée, pour pouvoir recevoir la sainte communion au moment de mourir. Le prêtre a dit : « Oui je vous laisse une hostie consacrée, mais à condition que vous l'administriez avec la plus grande déférence possible ».
Ma mère donna ensuite la sainte communion à ma grand-mère et pour le faire, avait enfilé une paire de gants pour ne pas toucher l'hostie de ses mains nues. Elle n'osait pas toucher le très saint sacrement avec les mains et avait utilisé une cuillère pour l'administrer.
Ce sentiment était si profond et si naturel pour nous, que lorsque nous sommes arrivés et avons vu les églises occidentales, plus que surpris, nous avons été blessé dans notre âme. Je ne juge pas la personne qui reçoit la communion dans les mains. C'est une autre question, car elle peut de toute façon la recevoir ainsi, avec la même déférence et le même amour. Mais je juge par contre la situation objective de distribuer ainsi la sainte communion. Il est indéniable qu'il y a eu une banalisation ; comme distribuer une tranche de gâteau.
Il s'agit du Seigneur! Quand le Seigneur ressuscité est apparu aux femmes et qu'elles le virent, celles-ci s'agenouillèrent.
Q : Elle tombèrent à genoux...
Mgr Schneider : Elle tombèrent à genoux et l'adorèrent.
Mais les apôtres aussi se sont comportés de la sorte quand le Seigneur est monté au ciel. Pourquoi ne devrions-nous pas faire la même chose?
Il s'agit du Seigneur réellement présent comme l'a été l'Église catholique pendant des millénaires. Pourquoi devrions-nous changer cela?
Q : Quel appel voudriez-vous adresser aux catholiques? Quels sont les besoins de l'Église au Kazakhstan?
Mgr Schneider : Certainement un appel à prier. Car les prières sont le don le plus précieux que nous puissions nous faire les uns les autres, en solidarité avec l'Église locale, qui est très loin et dans une situation difficile. Nous avons peu de ressources humaines et matérielles. Nous demandons de prier pour les vocations sacerdotales locales.
Nous avons besoin d'un clergé local, car ce n'est qu'à ce moment-là que l'Église pourra s'enraciner. Et, s'il vous plait, si cela est possible, soutenez-nous dans nos efforts à construire plus d'églises, pour rendre l'Église plus visible dans cette partie du monde où nous vivons, comme signe d'évangélisation.
Nous sommes reconnaissants pour tous ces signes de fraternité et de solidarité.
Publié sur http://zenit.org/ le 8 juillet 2010
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