Vous êtes à la recherche de personnels pour des postes au Kazakhstan?

Eurokaz peut vous aider en publiant votre annonce sur le site de son portail
Eurokaz News, section "
Offre d'emploi"

vendredi 8 mai 2009

En moins de vingt ans, la Chine a rattrapé l'influence économique russe en Asie centrale

Entretien avec Thierry Kellner, spécialiste de l’Asie centrale et auteur de L'occident de la Chine. Pékin et la nouvelle Asie centrale (1991-2001) (622 pages, PUF, 2008).

La présence chinoise en Afrique fait couler beaucoup d'encre. Moins connu du grand public, l'intérêt de Pékin pour l'Asie centrale est pourtant de plus en plus prononcé. Pourquoi la Chine s'intéresse-t-elle d'aussi près aux cinq républiques musulmanes centrasiatiques nées des décombres de l'URSS ?
Dès 1991, Pékin se tourne vers l’Asie centrale pour des raisons d’abord sécuritaires. La Chine craignait que les mouvements séparatistes ouïgours de la province autonome du Xinjiang ne puissent trouver une base arrière, voire une assistance auprès des populations d'Asie centrale – lesquelles partagent avec les Ouïgours des affinités culturelles, linguistiques, religieuses, et même parfois ethniques puisqu'il existe une minorité ouïgour importante au Kazakhstan et au Kirghizistan-.
Outre ce défi sécuritaire, la naissance de républiques indépendantes à ses frontières offrait à la Chine des opportunités économiques de taille. Pékin décide très vite d'ouvrir le pays et plus particulièrement la province du Xinjiang au commerce avec l’Asie centrale.
Le temps passant, la Chine réalise que d'autres opportunités s'ouvrent également à elle dans la région. C'est le cas dans le domaine de l'énergie. Dès la fin des années 90, les compagnies chinoises commencent à s'intéresser et à investir au Kazakhstan. Pékin s’intéresse également au gaz turkmène. Mais il faudra attendre la période post-11 septembre pour que les choses commencent à bouger dans ce domaine.
En 2001, les attentats du 11 septembre et le déploiement militaire américain en Afghanistan changent considérablement la donne dans la région. Comment la Chine réagit-elle ?
Pékin est comme tout le monde pris de court. D’autant plus que le jour même des attentats du 11 septembre, la Chine s’apprêtait à signer un traité commercial avec le régime des Taliban, ce qui la plaçait dans une situation pour le moins particulière…
La pénétration américaine en Asie centrale, dans le cadre des opérations en Afghanistan, ébranle les objectifs poursuivis par la République populaire depuis le début des années 90, à savoir sécuriser cette arrière-cour et y limiter l'influence des puissances extra-régionales au premier rang desquelles les Etats-Unis. Alors que la Chine s’évertuait depuis près de dix ans à développer des relations de proximité avec les républiques d'Asie centrale, ces dernières décident du jour au lendemain de s'aligner sur les objectifs américains, en offrant dans certains cas des facilités militaires aux Etats-Unis.
Qu’importe, Pékin fait contre mauvaise fortune bon cœur. Mieux, elle s’adapte. D'abord en s'associant à la guerre contre le terrorisme menée par Washington - ce qui lui permet au passage de légitimer ses propres objectifs au Xinjiang en présentant les organisations nationalistes ouigours comme étant proches de Ben Laden et d'Al-Qaïda-. D'un autre côté, Pékin réactive sa politique étrangère à l'égard des partenaires centrasiatiques. Un activisme diplomatique qui se traduit par une multiplication des visites réciproques et la relance de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
Aujourd’hui, l’Organisation de Coopération de Shanghai fonctionne pourtant a minima…
Au moment du 11 septembre, l’organisation commençait seulement à se mettre en place – elle a été fondée en juin 2001-. Huit ans plus tard, on se rend compte que l'Organisation est toujours là, que des réunions sont régulièrement organisées et qu’elle s’est davantage institutionnalisée. L'OCS reste un forum de dialogue très utile pour l'Asie centrale, la Russie et la Chine. Mais il est vrai qu’en matière de réalisations concrètes, la coopération reste minimale. Dans le domaine de la lutte anti-terroriste par exemple, malgré des rencontres au niveau des administrations chargées de la lutte anti-terroriste dans le cadre du « Groupe de Bichkek » et la tenue d’exercices militaires réunissant la Chine, la Russie et leurs partenaires centrasiatiques, la coopération reste frileuse.
L’OCS ressemblerait donc davantage à une coquille vide ?
Pas totalement. Je vous rappelle qu’à travers l'OCS, la Chine a par exemple offert 900 millions de dollars de crédits préférentiels aux républiques d'Asie centrale, dont ont bénéficiés notamment le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizistan. Ces fonds ont permis de financer toute une série de projets en matière d'infrastructures routières, de tunnels, ou encore une centrale thermique au charbon.
Derrière, l’objectif est double : ces crédits servent à financer des travaux réalisés en grande partie par des entreprises chinoises et par ailleurs, les voies de communication s'améliorant dans ces pays, elles permettent une plus grande pénétration des intérêts économiques chinois...
Résultat, depuis 2001, le commerce chinois dans la région a littéralement explosé. Quelles sont les tendances lourdes ?
En l’espace de quelques années, la Chine est devenue l'un des principaux partenaires économiques du Kazakhstan qui représente 70 % du commerce sino-centrasiatique. Astana est le principal partenaire de Pékin dans la région et le second après la Russie dans l’espace de la CEI.
Parallèlement, une nouvelle dynamique régionale s’est mise en place : la République kirghize se transforme progressivement en plaque tournante pour le commerce régional de produits de consommation chinois. Ils transitent sur les marchés kirghizes, notamment ceux de Dordoï, à quelques kilomètres au nord de la capitale Bichkek, et de Karasuu, avant de reprendre la route vers l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, et même au-delà vers le nord de l'Afghanistan et peut-être jusqu’en Iran.
N'est-ce pas le signe que Pékin est en passe de détrôner l'influence de Moscou dans une région que la Russie considère pourtant encore comme sa sphère d'influence naturelle ?
En moins de vingt ans, la Chine a rattrapé l'influence économique russe dans une région qui était pourtant sous son influence depuis un siècle et demi. En 2007, le total des échanges de la Russie avec les cinq républiques d’Asie centrale a atteint 22,1 milliards de dollars contre 19,6 pour la Chine ! La progression des échanges avec Pékin a été extrêmement rapide depuis 2001. C'est un signe fort, celui du dynamisme de l'économie chinoise. Et encore, la coopération économique sino-centrasiatique n’a pas atteint son plein développement. Les possibilités de renforcement des échanges sont très nombreuses, à commencer par le secteur des matières premières et particulièrement des hydrocarbures. Avec la mise en place du dernier tronçon d’oléoduc qui reliera les champs kazakhs de la Caspienne au territoire chinois mais aussi le jour où le gaz turkmène arrivera jusqu'en Chine, le poids de Pékin en Asie centrale deviendra encore plus massif !
La pénétration économique chinoise dans la région irrite certainement Moscou qui craint d’être marginalisé à termes par le dynamisme économique de la Chine. Mais pour l'instant, les Russes continuent à privilégier leur coopération avec Pékin. Avec leurs partenaires centre-asiatiques, outre un regain d’activisme économique –notamment dans le secteur énergétique- sous les présidences Poutine, ils jouent la carte de la sécurité pour maintenir leur influence. Dans ce domaine, ils restent les acteurs numéro 1, notamment par le biais de leur coopération bilatérale dans le domaine militaire mais aussi grâce à l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qu’ils dominent et dont Pékin n’est pas membre. Pour ménager les susceptibilités russes, la Chine s'est de toute façon gardée de trop avancer sur ce terrain.
Les élites de la région ne craignent-elles pas une trop forte dépendance de la Chine ?
Il existe bien entendu des craintes latentes au sein des élites centre-asiatiques vu le différentiel de puissance entre Pékin et ses voisins et les incertitudes quant à ses intentions dans le futur. Mais jusqu’à présent, les élites locales ont réussi à jongler avec les différentes puissances en présence, quitte à les renvoyer dos à dos. Au Kazakhstan, dont la politique multi-vectorielle est devenue un exemple à suivre pour pratiquement toutes les républiques centrasiatiques, les dirigeants ont parfaitement su développer et contrebalancer leurs relations avec la Chine, la Russie, les Occidentaux et d'autres partenaires régionaux comme l'Inde. Autre exemple, au moment des « révolutions colorées », quand les pressions occidentales, notamment américaines, sont devenues trop fortes sur le régime ouzbek, ce dernier n’a pas hésité à se retourner vers la Chine et la Russie pour y chercher un soutien diplomatique face à son « partenaire stratégique » américain. Plus récemment, Tachkent a commencé à rétablir ses contacts avec Washington, sans doute parce ce que Moscou était devenu trop pressant…
Sur le plan énergétique, l'Asie centrale n'est-elle pas seulement un moyen pour Pékin de diversifier ses approvisionnements, surtout quand on sait que le premier fournisseur en pétrole de la Chine reste le Moyen-Orient ?
En effet, il ne faut pas présenter l'Asie centrale comme une alternative au Moyen-Orient en terme d'approvisionnement pétrolier ou gazier pour la Chine. En matière d'uranium, les perspectives sont différentes. Le Kazakhstan pourrait devenir un partenaire majeur pour la Chine. Des sociétés chinoises et kazakhes ont récemment développé une vaste coopération pour l’exploitation de l'uranium et la livraison de combustible nucléaire pour les centrales atomiques chinoises. C'est un nouveau secteur de coopération, très porteur.
D'autant que la Chine, pour alimenter sa croissance économique, doit développer ses capacités énergétiques. Immanquablement -vu ses besoins mais aussi les questions environnementales-, elle devra dans les années à venir recourir au secteur nucléaire. Le partenariat avec le Kazakhstan sera alors particulièrement précieux.
Sur quels dossiers les relations entre la République populaire et l'Asie centrale buttent-elles ?
Une des aires de friction concerne la gestion de l'eau, en particulier du fleuve Irtych qui traverse le Xinjiang avant de poursuivre vers le Kazakhstan. Dans le cadre des programmes de développement de la province du Xinjiang, Pékin a mis en place des projets d'irrigation dans lesquels il injecte de l'eau prélevée dans le fleuve Irtych, ce qui inquiète la partie kazakhe.
Autre point de friction, l'émigration chinoise. Les républiques d'Asie centrale redoutent un afflux important de population chinoise. Il s’agit de craintes présentes dans l’opinion publique et les médias, et non d’un phénomène d'actualité. Les Chinois présents en Asie centrale restent peu nombreux. Peut-être 60.000 au Kirghizstan au début 2008 si on en croit le responsable de la surveillance des frontières et quelques dizaines de milliers d’individus au Kazakhstan, mais officiellement il n’y avait que 1.116 citoyens chinois vivant dans ce pays en 2005.
Autre sujet dont la presse française s'est récemment emparé, la location par la Chine de terres arrables au Kazakhstan pour y envoyer ses paysans. De quoi s'agit-il?
La Chine possède une main-d'oeuvre extrêmement nombreuse qu'elle essaye d'utiliser au mieux. C'est vrai au Kazakhstan où elle a envoyé des paysans, mais aussi aux Emirats arabes unis, en Egypte, en Algérie, en Israël, en Afrique et en Europe de l'Est où elle exporte ses ouvriers sur les chantiers de construction. Dans le cas kazakh, la présence de paysans chinois reste anecdotique. Les dirigeants kazakhs sont conscients qu'ils ne peuvent pas ouvrir en grand les portes du pays, au risque d'avoir un flux incontrôlable de main-d'œuvre chinoise. Encore qu’au début des années 2000, certains pensaient qu'il ne serait pas inintéressant d'avoir une minorité chinoise au Kazakhstan pour contrebalancer l'influence de la minorité russe…
Article paru dans l'édition du 08/05/2009 sur www.caucaz.com
Par Célia CHAUFFOUR

0 Comments: