De plus en plus souvent, de violentes tempêtes de poussière balaient des régions entières d’Asie centrale. Avec l’assèchement de la mer d’Aral, le vent emporte davantage de sable avec du sel pollué et des produits chimiques empoisonnés. Les tempêtes de poussière accentuent la pauvreté et répandent des maladies.
Il y a 40 ans seulement se trouvait ici une mer. C’est à présent l’un des lieux les plus secs du Kazakhstan et de l’Asie centrale. C’est la raison de la présence de ces chercheurs européens.
“ Le lac d’Aral était une île de fraîcheur entre deux déserts, le Karakoum et le Kusulkoum, explique Christian Opp, géophysicien de l’Université de Marburg, en Allemagne. Elle était un réservoir d’eau énorme, avec un habitat et un biotope très riches, munis d’une grande biodiversité. Maintenant, on appelle l’ancien lac le “Aralkoum”, le désert d’Aral. On en voit des signes partout : le lac est devenu un autre désert.”
“ Le principal problème avec la baisse du niveau de la mer a été la disparition d’espèces de poissons de grande valeur, ajoute Oleg Semedov, physicien à l’Institut de recherche kazakh de l‘écologie et du climat. Cela a conduit beaucoup de pêcheurs et de personnes vivant sur la côte à perdre leurs emplois. Mais il y a eu un second problème. Ce qui était le fond de la mer est à présent un dangereux mélange de poussière, de sels, d’aérosols et de produits chimiques qui s’envolent avec le vent. Leur propagation a détérioré la végétation à 150 km alentour. C’est ainsi que la désertification de toute la région a commencé.”
Voilà comme se présentait la mer d’Aral en 1960. L’utilisation massive et impropre de ses affluents pour l’irrigation l’a réduit à trois plus petits lacs. La mer a perdu quelque 50 000 km2. L’impact social et humain de ce phénomène est terrible.
Le chômage et la pauvreté sont criants le long des anciens rivages. Des maladies comme la tuberculose ou l’hépatite sont ici deux fois plus répandues que dans les régions alentour. Et puis, il y a le vent.
Fréquemment, des tempêtes de poussière traversent l’ancien fond marin, emportant au loin du sable, du sel et des produits chimiques utilisés pour l’agriculture. Un cocktail empoisonné que respirent chaque jour les habitants.
Ce sombre phénomène est à présent examiné à la loupe par une équipe de chercheurs européens au sein du projet “Calter”.
“ D’abord, nous voulons comprendre ce qui se passe avec les tempêtes de poussière ici en Asie centrale et particulièrement autour de la mer d’Aral, parce que les dernières études se sont arrêtées après l’effondrement de l’URSS, explique Leah Orlovsky, coordinatrice du projet Calter. La poussière ne connaît pas les frontières politiques, elle peut virtuellement se déplacer vers l’Europe ou d’autres régions du monde. Nous voulons savoir quelle quantité de poussière et de sel s’envole, leur composition, leur direction. Ensuite, nous voulons proposer des solutions pour atténuer les conséquences de ces tempêtes de poussière.”
A 300 km de la mer d’Aral, les chercheurs se rendent dans cette station météorologique pour installer des pièges à poussière.
Les particules capturées pendant les tempêtes de poussière sont ensuite pesées, mesurées et analysées. Les scientifiques estiment que les tempêtes peuvent transporter jusqu‘à 400 kg de poussière par hectare chaque mois dans des endroits comme celui-ci.
“ Nous avons déterminé les tailles de grains de poussière et aussi leur composition minérale à l’aide de techniques comme la radiofluorescence, rapporte Christian Opp. Avec ces informations, nous avons pu établir les régions de provenance. Nous avions une hypothèse : puisque ces poussières proviennent en partie du fond du lac d’Aral, les taux de sel doivent être relativement élevés. Et nous en avons eu la confirmation : le sel de la Mer d’Aral est bien arrivé jusqu’ici.”
La recherche des poussières se poursuit à 1 300 km de là, au sud-ouest. Nous voici à Almaty, l’ancienne capitale du Kazakhstan. Au Centre national de recherche spatiale, les tempêtes de poussière sont observées de près, grâce à des satellites.
Ces tempêtes constituent un élément clé du changement climatique. Répandue dans l’atmosphère, la poussière rafraîchirait la surface des océans et empêcherait le déclenchement d’ouragans notamment.
Les images satellites montrent qu’ici, en Asie centrale, les tempêtes de poussière contribuent à assécher des régions déjà très désertique
“ Depuis l’an 2000, la poussière provient d’une superficie de la région d’Aral toujours plus grande; l’intensité et la fréquence des tempêtes de poussière augmentent également, témoigne Lev Spivak directeur du centre national de technologie et de recherche spatial. Auparavant, les émissions se faisaient surtout vers le nord-ouest. A présent, elles sont surtout dirigées vers le sud; cela signifie que chaque année, de nouvelles superficies de terres sont polluées par le sel du fond marin de l’Aral.
Les chercheurs souhaitent également comprendre les dynamiques internes des tempêtes de poussière, leurs volumes, leur vitesse et leur densité, la façon dont elles se forment et s‘éteignent.
Pour ce faire, ils reproduisent de petites tempêtes de poussière dans un tunnel à vent artisanal, équipé de laser et remplis de poussière du désert et de sable.
“ Ces expériences nous ont permis de comprendre quelle quantité de sable s’envole avec le vent à différentes vitesses, selon Oleg Semedov. Nous savons à présent que les particules de sable avancent comme une avalanche ; les plus petites particules se soulèvent et entraînent de plus grosses particules qui en entraînent elles-mêmes de plus grosses etcetera. Nous savons aussi que la concentration maximum de sable s‘élève à quelques fractions de millimètre. Plus il se trouve haut dans l’oeil de la tempête, plus la densité de poussière est faible. Des équations mathématiques nous aident à calculer la masse totale de sable emporté à différentes hauteurs et dans différentes vitesses de vents.”
De retour au désert, les scientifiques étudient différents sites géologiques. Ils sont convaincus qu’autour de la Mer d’Aral, une désertification due à l’action de l’homme amplifie les tempêtes de poussière, et assèche les régions alentour. Un cycle infernal contre lequel existent quelques solutions préventives.
“ Nous savons à présent que la quantité réelle de poussière par unité de surface mesurée en tonne par année et par hectare diminue, résume Leah Orlovsky. Nous connaissons la composition chimique de cette poussière ; nous savons aussi d’où elle vient. Nous avons donc beaucoup de nouvelles données pour proposer quelques solutions préventives. Le meilleur moyen de préserver la région de la Mer d’Aral de toute dégradation est de cultiver des plantes locales. Non pas dans tout l’ancien fond marin mais sur de petites îles vertes ; ces plantes retiendraient la surface et il y aurait beaucoup moins de poussière emportée.”
Les scientifiques espèrent aussi que leur travail aidera à mettre en place un système d’alerte des risques écologiques en Asie centrale.
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