Bien que le filet se resserre autour du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, les contenus des câbles diplomatiques US nous ont été prodigués à pleines pelletées. Pire, le Guardian met en forme et déforme ces câbles afin de protéger ses lecteurs contre des remarques désobligeantes au sujet de la façon dont leurs grands trusts se comportent outre-mer. Ce n'est pas une conjecture, mais un fait : The Guardian a délibérément coupé des passages des câbles qu'il a publiés afin de dissimuler des preuves de corruption.
Il y a un an de cela, le 25 janvier 2010, l'ambassadeur US à Astana, capitale du Kazakhstan, a envoyé le câble secret ASTANA 000072, intitulé : Kazakhstan : argent et pouvoir. Ce câble relatait un dîner en privé de l'ambassadeur américain avec un haut responsable du gouvernement kazakh, Maksad Idenov. A l'époque, Idenov était à la tête de la compagnie du pétrole et du gaz kazakhe et il représentait l'Etat dans des négociations avec des compagnies pétrolières étrangères, dont British Gaz et l'ENI. Une version expurgée de ce câble a été publiée (par le Guardian) [http://www.guardian.co.uk/world/us-embassy-cables-documents/245167], et c'est ainsi que nous est accordé le rare privilège d'observer le processus éditorial du Guardian en action. Cela ressemble très fort à de la censure politique.
Voici le passage intéressant du câble d'Astana ; les mots supprimés par The Guardian sont en gras :
« … l'économie de marché, cela signifie le capitalisme, ce qui signifie les gros sous, et ce qui signifie des pots-de-vin conséquents pour les mieux introduits ».
Il semble bien que quelqu'un, au Guardian, veut nous épargner une désillusion au sujet de la loi du marché. The Guardian n'hésite pas à révéler à ses lecteurs que le capitalisme, cela signifie « les gros sous », mais une discussion de ce que les gros sous sont susceptibles de faire à un gouvernement étranger est strictement 'verboten'. Idenov n'est pas quelque outsider frustré, c'est un acteur du pouvoir, il se trouve au cœur du système. Il sait de quoi il parle. Les lecteurs du Guardian risquent de ne jamais en entendre parler, mais les « gros sous » du capitalisme se traduisent bel et bien, dans la réalité, par « des pots-de-vin conséquents pour les mieux introduits ».
Juste avant ce dîner, l'on avait entendu Idenov « aboyer dans son téléphone portable » contre le directeur de British Gaz pour le Kazakhstan, Mark Rawlings, « qui continue à jouer des petits jeux avec James Griffin, de Mercator, cet AmCit indicateur notoire accusé de corruption à grande échelle dans des marchés pétroliers en 1990, dont le procès se traîne au Southern District Court de New York. Idenov lui disait : « Mark, arrête de faire l'imbécile ! Arrête de tenter le sort ! Arrête de parler à un criminel notoire ! »
Mais, là encore, l'information particulièrement pertinente et audacieuse du câble d'Astana a été censurée afin que les contribuables britanniques n'apprennent pas que le directeur régional d'une éminente firme britannique insiste à faire des affaires avec un rufian mis en examen. Les lecteurs du Guardian ne seront peut-être jamais que le cas du citoyen américain (car c'est bien ce que l'abréviation AmCit signifie…) James Giffen (dont le nom avait été estropié dans le câble) avait été innocenté par le Juge de District américain du fait que les pots-de-vin qu'il avait donné aux officiels kazakhs avaient été autorisés par la CIA. Le juge avait louangé publiquement ce « trafiquant notoire » en le qualifiant de combattant de la Guerre froide [http://www..mainjustice.com/justanticorruption/2010/11/19/in-stunning-end-to-kazakh-bribe-case-judge-lauds-giffen-as-a-patriot/] ayant contribué à faire avancer la cause juive (ce qui est, toujours, une circonstance atténuante dans le système judiciaire américain) et il avait déclaré afin que nul n'en ignore que « son comportement en affaires s'intégrait dans le cadre d'opérations autorisées par la CIA ».
« M. Giffen était une source d'informations importante pour le gouvernement américain et un intermédiaire pour des communications secrètes avec l'Union soviétique et ses dirigeants, durant la Guerre froide », avait dit le juge. Au Kazakhstan, Giffen faisait la promotion des intérêts américains, dont ceux des firmes privées. « Il a joué le rôle d'un canal pour des communications portant sur des questions vitales pour l'intérêt national des Etats-Unis dans cette région du monde », avait indiqué le même juge.
« L'intermédiaire des affaires pétrolières James H. Giffen, qui fut accusé d'avoir acheminé 84 millions de dollars de pots-de-vin au président kazakh et à d'autres officiels du Kazakhstan » [http://www.justice.gov/criminal/fraud/fcpa/cases/docs/08--04-04giffen-second-superseding-indict.pdf] est reparti de ce pays en homme libre et riche. Peut-être notre homme, Rawlings, en sait-il un peu plus au sujet des liens entre Giffen et la CIA que ce n'était le cas en ce qui concerne l'ambassadeur américain et M. Idenov ?
La dernière coupure opérée par le Guardian finit par avoir raison du proverbial gâteau. Idenov poursuit, disant que tant British Gas que le pétrolier italien ENI sont corrompus et que des officiels kazakhs avides de prébendes sont impatients de travailler avec ces deux firmes. Ce passage du câble diplomatique a été caviardé.
Le seul passage du câble que le Guardian a jugé bon de souligner était celui indiquant que le gendre du président préféré du moment se trouvait « sur la liste des 500 premiers milliardaires de la revue Forbes)(ainsi que son épouse, d'ailleurs, qui 'concourait à part'). De plus, le câble traficoté a été balancé sur les pages du Guardian sans la moindre information du contexte et sans commentaire. Le Kazakhstan n'est pas le pays d'à-côté, et les lecteurs du Guardian méritaient davantage. Voici ce qu'ils ont laissé transparaître de cette histoire : Idenov a quitté le service de l'Etat (kazakh) en mai 2010 et il a ré-émergé, en juillet – surprise, surprise – en tant que vice-président de la Planification stratégique de l'ENI [http://www.biografia.kz/neft-i-gaz/idenov.html#ixzz1AcHowL38]. Oui : vous avez bien lu : de l'ENI, cette même entreprise « corrompue » avec laquelle il était en affaires depuis son bureau ministériel.<!--[if !supportEmptyParas]--> <!--[endif]-->
Le câble d'Astana est un épitomé du vol de l'espace ex-soviétique par les grandes firmes occidentales. Grâce à lui, nous apprenons que les pots-de-vin étaient autorisés par la CIA et que les rufians sont blanchis par les tribunaux américains. Nous apprenons aussi que des juristes formés à Harvard, tel que M. Idenov, retirent tous les avantages de la porte tournante séparant leurs positions dans l'appareil d'Etat et les firmes occidentales qui plument celui-ci. Bref : nous apprenons que « le capitalisme, cela signifie des pots-de-vin conséquents pour les mieux introduits ». Bien entendu, les lecteurs du Guardian n'ont été mis au courant de rien de tout cela.
Idenov conclut sa conversation avec des ratiocinations des gens de son espèce : « Presque tout le monde, au sommet (de l'Etat) est révulsé par les excès de la corruption capitaliste. « Si les exécutifs de Goldman Sachs peuvent gagner 50 millions de dollars par an et dirigent l'économie américaine à Washington, en quoi ce que nous faisons (ici, au Kazakhstan) est-il vraiment différent », demandent-ils. C'est vrai : cela ne diffère probablement en rien. Si les Américains sont désarmés devant la rapacité des responsables de Goldman Sachs, comment pouvons-nous attendre du peuple kazakh qu'il se défende face à des trusts transnationaux bénéficiant des conseils de la CIA ? Le câble intégral et non expurgé ne rend que trop clair le fait que le seul choix qui leur est laissé est celui du montant du pot-de-vin qu'ils vont demander.
Bien que l'accord entre WikiLeaks et The Guardian autorise ce journal à censurer les noms de personnes innocents risquant de souffrir de la révélation de leur identité, le câble d'Astana a manifestement été caviardé pour des raisons politiques afin de protéger l'image du genre de capitalisme prédateur que ces gens prêchent, à l'Est.
Les gens cités dans les câbles diplomatiques – généralement des vétérans des portes à tambour entre les trusts internationaux et les services étatiques – peuvent dormir tranquille lorsqu'ils voient que les médias consensuels « embedded », comme The Guardian et The New York Times, nient immanquablement tout lien entre leurs agissements et leurs responsabilités. L'existence-même de journalistes indépendants et de médias libres, indépendants et fondés sur Internet a, effectivement, « des conséquences préoccupantes pour leur sécurité ». Qu'ils se fassent donc du mauvais sang ; c'est bien leur tour ! Alors que les gens du tout venant n'ont rien à craindre, les riches et les puissants nous font confiance pour ce qui est de les tenir pour comptables de leurs méfaits. Le Guardian comprend-il seulement pourquoi on lui a remis ces câbles diplomatiques secrets et confidentiels ? WikiLeaks essaie de diriger un petit peu de lumière sur le monde souterrain sombre et sale de l'intrigue internationale, et le Guardian fait tout ce qu'il peut pour l'occulter à nouveau.
La bataille pour la vérité ne fait que commencer.
Publié sur www.palestine-solidarite.org le 11 janvier 2011.
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