Le président kazakh Noursoultan Nazarbaiev a remporté près de 95% des voix aux élections présidentielles anticipées. Un score soviétique dans le pays le plus prospère d'Asie centrale, qui vient de finir un mandat plutôt réussi à la tête de l'OSCE. René Cagnat, chercheur associé à l'IRIS, spécialiste de l'Asie centrale, nous éclaire sur la situation politique de ce pays, courtisé à l'Est comme à l'Ouest et qui s'affirme comme un acteur incontournable de la région. Entretien.
Q : Comment s'est passée la campagne électorale ? Que pensez-vous des résultats ?
A mon sens, les résultats provisoires portant sur 90% des votants ainsi que ceux de l'abstention ne sont pas plausibles. Noursoultan Nazarbaiev est très populaire et peu facilement obtenir 80% des votants. Mais s'il obtient beaucoup plus, cela voudra dire que l'on a triché quelque part. Or, il aurait obtenu près de 95% des voix.
Je pense que, dans les campagnes, où les vieilles habitudes soviétiques perdurent, on a fait voter les abstentionnistes. Preuve en est la différence de résultats selon que l'on se situe en zone rurale ou dans l'une des deux capitales (la nouvelle Astana et la traditionnelle Alma-Aty). La participation totale à ces élections s'élève à 89,9%, tandis qu'en zone rurale, elle peut aller jusqu'à 97%. Ce taux n'est pas plausible, puisqu'il y a toujours des gens absents, ne serait-ce que les travailleurs kazakhs en Russie. En revanche, dans les capitales, et notamment à Astana, la ville construite par Nazarbaiev, la participation s'élève à seulement à 69,1% (Almaty 68.5%). Ces chiffres me paraissent déjà beaucoup plus vraisemblables. Selon moi, dans les campagnes, le taux ne devrait pas être à plus de 80%.
Il y a donc eu une falsification du scrutin pour au moins 10% des voix, même si, de façon régulière, Nazarbaiev pouvait recueillir aux alentours de 80% des voix. On dit aussi que pour lutter contre le boycott des pressions ont été exercées. On a dit par exemple aux étudiants : « si on ne vous voit pas voter, plus de bourses pour l'an prochain ! ».
Quelle a été la place de l'opposition ?
Au cours de la campagne électorale, les principaux partis d'opposition s'étaient retirés de la compétition et avaient prôné le boycott. L'opposition participante était constituée de trois candidats, mais ils n'étaient pas représentatifs, s'agissant de petits partis.
Nazarbaiev vieillit et a tendance à dériver vers le pouvoir personnel. C'est dommage car c'est un homme fin et intelligent. Il a prouvé qu'il était un véritable homme d'Etat exerçant une grande influence sur son peuple mais aussi à l'extérieur. Il est très populaire en Kirghizie par exemple. C'est le seul personnage issu de l'ère soviétique qui ait dominé le lot. Il a inspiré confiance à tout le monde, et notamment aux pays occidentaux, ce qui lui a ouvert les portes d'un développement économique remarquable. Le pays a un potentiel qui a été bien mis en valeur.
Peut-on considérer que Noursoultan Nazarbaiev passe en force après le rejet du projet de referendum sur un éventuel mandat à vie ? Pourquoi avoir organisé ces élections anticipées ?
Je ne pense pas que l'on puisse parler de passage en force. Le référendum ne pouvait pas avoir lieu sur un plan purement juridique et le président a recouru à la solution de l'élection présidentielle, qui est une solution démocratique.
Selon moi, si Nazarbaiev a organisé ces élections plus tôt que prévu, c'est pour avoir les mains libres pour une période 2012-2014 où il y aura des remous en Asie centrale, ne serait-ce que parce que le président ouzbek, Islam Karimov, atteint un âge avancé et devra peut-être passer la main. Mais la cause la plus importante est interne : le président a senti que l'opposition commençait à s'organiser et il a voulu tout simplement lui couper l'herbe sous les pieds.
La présidence kazakhe de l'OSCE a-t-elle eu des conséquences bénéfiques sur le plan intérieur, comme l'espéraient certains pays occidentaux ?
La présidence kazakhe de l'OSCE s'est bien passée. C'est certainement le pays qui a fait le plus au cours de sa présidence pour l'Organisation. Les résultats intérieurs sont en revanche peu probants. Il y en a certainement eu malgré tout, car durant son mandat, le Kazakhstan n'était pas tout à fait libre aux entournures concernant sa conception de la démocratie. Il a dû accepter beaucoup de choses de la part de l'OSCE : des commissions de contrôle, des visites d'Autorités, parfois même de petites protestations. Cette présidence a donc obligé les Kazakhs à rentrer encore davantage dans le moule de l'Organisation. Mais sur le plan purement intérieur, je ne vois pas beaucoup de résultats. J'attends justement avec impatience l'avis des commissions de contrôle de l'OSCE qui ont supervisé ces élections.
Une révolte comme celles que l'on observe dans le monde arabe est-elle possible au Kazakhstan ?
Une révolte comme on en voit dans le monde arabe pourrait peut-être se concevoir en Kirghizie. Ces événements pourraient avoir une influence en Ouzbékistan, au Tadjikistan, voire au Xinjiang mais je ne pense vraiment pas qu'un tel soulèvement puisse intervenir au Kazakhstan. L'Asie centrale (sauf le Tadjikistan qui participe du monde iranien) appartient au monde turc, et non au monde arabe, même si elle partage, parfois de très loin, la foi musulmane sunnite de ce monde arabe.
Le Kazakhstan est, en outre, le seul pays d'Asie centrale où il y a eu une relative redistribution des richesses. Bien sûr, beaucoup d'argent a disparu au plus haut niveau, mais cependant, la manne pétrolière et celle des métaux rares sont également tombées dans la poche des Kazakhs. Un petit peu, mais suffisamment pour permettre l'émergence d'une classe moyenne. Peut-être que d'ici quelques mois, quelques années, le mécontentement gagnera cette classe moyenne, ainsi que les pauvres et les délaissés, mais, dans l'immédiat, les Kazakhs sont beaucoup trop heureux de leur condition pour que ce qui se passe dans le monde arabe puisse avoir une influence importante au Kazakhstan.
Entretien avec René Cagnat, publié sur www.affaires-strategiques.info le 5 avril 2011
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