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lundi 1 novembre 2004

Ruée sur le dernier eldorado pétrolier

La découverte d'un gisement géant dans la Caspienne fait fantasmer les grandes compagnies pétrolières. Bientôt ce coin d'Asie centrale pèsera autant que l'Irak. Reportage aux nouvelles frontières de l'or noir.

Bienvenue au sommet de la tour de Baiterek ! » La jeune guide connaît son laïus sur le bout des doigts. Voyez l'empreinte de la main du président, gravée dans un bloc d'or et d'argent... C'est un symbole, une promesse de stabilité et de prospérité faite aux 16 millions de Kazakhs. « Notre président est garant de la paix et de l'amitié entre les peuples », clame l'accompagnatrice. Du haut des 105 mètres de cet « arbre de vie », version locale de notre tour Eiffel, le visiteur saisit d'un coup toute la mégalomanie d'un nouveau roi du pétrole que son peuple a surnommé, avec un brin d'ironie, « Papa ».

Noursoultan Nazarbaev, président de la république du Kazakhstan, a de grandes ambitions pour son peuple... et pour lui-même. En plein désert, sur les fondations de la modeste Tselinograd, il invente la nouvelle capitale kazakhe, Astana. Adieu Almaty, l'ancienne capitale verdoyante et indolente nichée au pied de la chaîne de l'Himalaya : trop près de la Chine, en pleine zone sismique, trop loin de Moscou... Nazarbaev songe bien à y organiser les jeux Olympiques d'hiver, dans une dizaine d'années. Mais de là à y régenter la vie politique et économique du pays, c'est niet. Le président veut du neuf, du massif, du central : Astana (littéralement : la capitale). Ici, au beau milieu du Kazakhstan, Khrouchtchev rêvait de construire une cité ouvrière. Nazarbaev a choisi d'y installer son pouvoir. Partout dans les rues de la capitale, le président s'affiche sur de larges panneaux : « Papa » seul sur les rives de la Caspienne, « Papa » et son épouse Sara, entourés d'enfants.

Poursuivi jour et nuit, l'immense chantier présidentiel doit être achevé en 2007. Un caprice à 1,5 milliard d'euros, mis en oeuvre par l'architecte japonais Kisho Kurakawa, comprenant un deuxième palais présidentiel, des ministères, des ambassades, une gigantesque mosquée, et une esplanade de près de 2 kilomètres de long au bout de laquelle s'élève le monument essentiel de cette composition urbaine : le ministère du Pétrole.

Sans son or noir, le Kazakhstan n'aurait sans doute pas nourri tant de rêves. D'ici dix ans, l'ancienne république soviétique, contrôlée depuis 1991 par le président Nazarbaev et par son clan, devrait produire autant d'hydrocarbures que l'Irak... et plus que la Russie. Autant dire qu'à Moscou on surveille de très près l'émancipation de l'ancien satellite. Pas question de lâcher une parcelle d'influence sur ce pays grand comme cinq fois la France et qui, aux yeux des Etats-Unis, de la Chine ou de l'Europe, constitue désormais une alternative au pétrole du Moyen-Orient. Les réserves kazakhes pourraient atteindre quelque 100 milliards de barils. C'est deux fois moins que l'Arabie saoudite, et ce pétrole coûte cher à extraire, mais la république d'Asie centrale, dont la population est à 60 % musulmane, garantit la stabilité et la sécurité des approvisionnements. Un peu comme la Norvège et la Grande-Bretagne dans les années 80, dont les réserves sauvèrent l'Occident des effets dévastateurs de deux chocs pétroliers, le Kazakhstan voudrait jouer le rôle du grand compensateur, de l'allié précieux et indispensable.

Le destin du pays a basculé le 30 juin 2000. Ce jour-là, après des années de vaines recherches, une équipe d'exploration mettait au jour une gigantesque réserve de pétrole, à 75 kilomètres des côtes. Un « champ éléphant », comme on dit dans le jargon pétrolier, de 80 kilomètres sur 40, contenant 38 milliards de barils - dont le tiers serait récupérable : la plus grande découverte de ces trente dernières années. Aussitôt, les majors du pétrole ont dépêché sur place leurs meilleurs spécialistes. Du jour au lendemain, Atyraou, lugubre cité des bords de la Caspienne traversée par le fleuve Oural, s'est transformée en une énorme base pour pétroliers du monde entier. La zone n'est plus qu'un immense chantier, l'un des projets les plus ambitieux dans l'histoire de l'industrie pétrolière, qui devrait nécessiter 25 milliards d'euros d'investissement dans les dix prochaines années. Au large, les plus grandes compagnies mondiales sont à l'oeuvre : d'ici quatre ans, le nord de la Caspienne sera parsemé d'îles artificielles sur lesquelles reposera l'essentiel de l'infrastructure de production kazakhe.

« Ce projet, c'est l'aboutissement d'une vie, la preuve que votre job n'a pas été inutile », s'exclame le volubile Paolo Pratelli, directeur technique du consortium chargé de l'exploration et de l'exploitation de ces immenses réserves offshore. Son bureau est installé dans l'immeuble flambant neuf, bloc de verre et d'acier, qui abrite le siège de la compagnie, dans le centre d'Atyraou. D'ExxonMobil à Total en passant par Shell, le gotha des pétroliers s'est réuni dans cette association emmenée par l'italien Agip. La petite moustache poivre et sel soigneusement taillée, la peau tannée par le soleil, Paolo est lyrique : « Etre géologue ici, c'est un peu comme être amateur d'art et découvrir un Léonard de Vinci dans un grenier... Il y aura d'autres champs géants comme Kachagan », promet-il. Le spécialiste italien n'aurait pas fait preuve de la même conviction dix ans plus tôt. L'industrie pétrolière dans la région se limitait alors aux champs de Dossor, bourgade de 7 600 habitants reliée à Atyraou par une ligne de chemin de fer et par une piste cahoteuse. En été, l'endroit est infesté de moustiques et à peine vivable, avec une chaleur accablante. En hiver, lorsque les vents balaient la steppe enneigée, le coin devient vite inaccessible. Patron local de Kazmunaigaz, la compagnie pétrolière nationale, Maksout Kilibaev, quinquagénaire taillé comme un pilier de rugby, veille sur ses 93 puits, derricks essoufflés et rouillés, vestiges de l'ère soviétique. Sur le champ de Botakan, ouvert en 1988, fierté de Kazmunaigaz, les hommes viennent de toucher des uniformes bleu et noir flambant neufs. A l'entrée du site, un panneau : « Le pétrole est la principale richesse du peuple ». De sa voix éraillée par les cigarettes, Kilibaev évoque mollement les performances techniques de l'installation. Mais, au fond, il sait que l'avenir du pétrole se joue ailleurs, plus au sud, sur le gisement de Tenguiz, exploité à terre par les Américains de Chevron, mais surtout à Kachagan, au beau milieu des eaux territoriales kazakhes.

01/11/2004 - L'Expansion