Vous êtes à la recherche de personnels pour des postes au Kazakhstan?

Eurokaz peut vous aider en publiant votre annonce sur le site de son portail
Eurokaz News, section "
Offre d'emploi"

mardi 10 août 2010

Kazakhstan - Nouveaux syndicats ouvriers : l'exigence de l'époque

Depuis l'été 2009, dans de nombreuses régions du Kazakhstan et dans différentes branches de l'économie du pays, ont eu lieu en même temps des actions et des grèves ouvrières locales radicales. Les plus significatives prirent place, en juillet 2009, dans l'usine de réparation de wagons d'Almaty et, au printemps 2010, dans l'entreprise Ozenmunaigaz à Zhanaozen. Pour la première fois, la nationalisation et le contrôle ouvrier y furent proposés et ensuite exigés. La montée du mouvement ouvrier cachait la crise des syndicats existants, incapables de se mettre à la tête de la lutte des travailleurs et allant même parfois jusqu'à se placer ouvertement du côté des employeurs et du gouvernement. Sur les perspectives d'une élimination de ces phénomènes négatifs et sur les plus récentes tâches des nouveaux syndicats indépendants, un journaliste du journal d'opposition Vzgliad (Regard) a discuté avec le militant organisateur de réunions ouvrières et leader du mouvement Résistance socialiste kazakhe, Ainur Kurmanov.

Vzgliad : Quelle est la profondeur de la crise organisationnelle dans les syndicats, et à quel degré y a-t-il une forte exigence de construire de nouveaux syndicats ?

Ainur Kurmanov : La particularité des derniers conflits ouvriers était cette circonstance que les luttes des travailleurs avaient lieu partout en dehors de la volonté des syndicats officiels. Parfois, les comités locaux du syndicat se plaçaient du côté des employeurs et ils apparaissent maintenant, au fond, comme des promoteurs de leur politique. En réaction contre cela se place la formation par les travailleurs de groupes d'initiative informels, grévistes en période de grève, et aussi leur participation aux associations sociales.

Ainsi, par exemple, l'association des familles de mineurs à Shakhtinsk a pris sur elle, au fond,les fonctions d'organisation syndicale. A Karabatan, Zhanaozen, Karabulak, et à l'usine de réparation automobile d'Almaty, s'installèrent des syndicats indépendants ou des comités de grèves, élus par la base. Une autre façon de manifester sa méfiance envers les syndicats « soviétiques » entièrement pourris consistait à en sortir souvent de façon délibérée. Ainsi, dans les puits de l'empire Mittal, il y avait eu déjà la possibilité de faire une sortie démonstrative des mineurs du syndicat officiel Korgau.

Les mobilisations de masse, par exemple les grèves à Zhanaozen, ne sont pas soutenues par les centrales syndicales officielles du pays, mais par les organisations de défense des droits de l'homme, des journalistes, des associations opposantes et de simples citoyens. Au nom de l'opposition socialiste et du syndicat indépendant Odak (Union régionale inter-industrielle) nous avons pu organiser une campagne internationale de solidarité, informer des syndicats étrangers connus, comme la Fédération internationale des métallurgistes, et également coordonner la tenue d'actions et de piquets devant les représentations du Kazakhstan dans de nombreux pays. Et tout cela sur un fond de profond silence du côté de la Fédération des syndicats de la République du Kazakhstan (FPRK), dirigée par Siasbek Mokachev, le meilleur ami du président.

Les travailleurs pétroliers ont exprimé leur méfiance envers le syndicat officiel failli et ont élu, lors d'un énorme meeting, de nouveaux dirigeants. En outre, la direction de la FPRK exclut de ses rangs tous les indésirables et les actifs, comme cela survint lors d'une réunion des travailleurs scientifiques qui s'était prononcée contre la privatisation de dizaines d'Instituts de recherche scientifique et la liquidation de la science fondamentale et industrielle. C'est pourquoi le moment de construire un nouveau centre syndical a plus que mûri et ne supporte plus de retard de notre part, d'autant plus dans une situation où l'on a besoin de travailleurs à la base pour s'unir, éviter l'isolement, le provincialisme et l'esprit de conciliation.

Vzgliad : Et qu'avez-vous fait pour consolider les organisations ouvrières et construire un nouveau mouvement syndical ?

Ainur Kurmanov : Les 27-28 février, à Almaty, s'est tenu un séminaire, sous l'égide de la Fondation Ebert, une réunion sur la question de la consolidation du mouvement syndical au Kazakhstan et dans la Communauté des États indépendants (1). Étaient présents les représentants de pratiquement toutes les organisations syndicales indépendantes, des associations sociales ayant aidé les travailleurs et la création de leurs organisations, et également des groupes d'activistes de nouvelles initiatives ayant l'intention de construire des associations à Almaty, Oust-Kamenogorsk, Semipalatinsk, Pavlodar, Kostanaï, Koktchetau, Chymkent, Taldy-Korgan, Karaganda, Aktau, Aktiubinsk et Djezgazgan.

A la réunion du 27 février, qui eut lieu après la première séance de la table ronde officielle, fut prise la résolution de former un nouveau syndicat inter-industriel et de constituer un comité d'organisation à partir des leaders et des activistes du mouvement ouvrier du Kazakhstan. Chez tous les participants fut renforcée la conviction qu'il était indispensable de rapidement mettre en place une association alternative centralisée, avec une nouvelle idéologie, une nouvelle stratégie et un programme uni de revendications transitoires, une organisation démocratique reposant sur les thèses programmatiques du syndicat et sur les principes du centralisme démocratique. Nous avons déjà élaboré les statuts de la nouvelle organisation et les thèses programmatiques du syndicat.

Nous travaillons déjà comme nouveau centre d'information, d'idéologie et de coordination, nous supervisons la rédaction du moniteur des conflits sociaux et du travail, nous allons dans les régions, organisons de nouveaux groupes et de nouvelles associations dans les entreprises, aidons les collectivités dans la préparation des grèves et des actions pacifiques de protestation, nous conduisons une campagne de solidarité avec la lutte des travailleurs de différentes entreprises, fournissons une aide juridique contre l'arbitraire du pouvoir et des patrons. De nouveaux groupes et de nouvelles organisations viennent vers nous, souhaitant entrer dans une structure unique avec une stratégie et des revendications unitaires. Nous planifions cet été la tenue de notre congrès où seront adoptés les textes fondateurs et sera élue la direction du nouveau syndicat.

Vzgliad : Quels sont les principes du syndicat indépendant, et comment les voyez-vous dans le futur ?

Ainur Kurmanov : Nous luttons contre la participation dans notre syndicat de représentants des employeurs et sommes entièrement pour la conclusion de contrats collectifs à valeur requise et pour la limitation des contrats de courte durée. Nous voyons plus largement l'activité des syndicats. Nous pensons qu'ils doivent aussi unir les travailleurs de la sphère commerciale. Comme chacun le sait, ce n'est plus un secret qu'ils sont exploités et opprimés deux fois plus que dans les entreprises industrielles. Je pense que les syndicats contemporains doivent également participer non seulement aux conflits du travail traditionnels, mais également aux mouvements socialistes, comme par exemple pour défendre les droits des habitants du rayon Alataouski d'Almaty, des locataires dont les logements ont été hypothéqués, de la main-d'oeuvre émigrée, des chômeurs et également entrer dans une grande coalition semblable au mouvement « Kazakhstan 2112 » (2).

Ils doivent jouer un rôle dans l'union des travailleurs du village et des fermiers dans la lutte pour la terre et contre les nouveaux latifundistes. Une autre différence avec les comités locaux du syndicat « soviétique » consiste en ce que la nouvelle organisation doit rester sur les positions de l'autogestion et de la démocratie interne où n'est pas acceptable la bureaucratie. Et c'est seulement à travers une organisation séduisante, transparente et résolue, que nous pourrons mettre en mouvement des milliers de nouveaux activistes. En vérité, cela ne met pas en question une discipline sévère et la nécessité absolue de mettre dans une caisse commune pour les membres du syndicat au moins de 2 % du salaire afin de créer un fonds de solidarité pour soutenir la collectivité en cas de mouvement de grève.

Vzgliad : Quelles sont les premières tâches du nouveau syndicat ?

Ainur Kurmanov : C'est la réforme du Code du travail actuel, le travail pour renforcer le contrôle sur les corporations transnationales et, en première ligne, sur des compagnies telles que Kazakhmis, ArcelorMittal, le groupe Evrazishaya où, avec la complaisance des organes étatiques, a lieu une véritable oppression barbare et une exploitation rapace des travailleurs et du pays. Sans la protection du travail, dont l'absence provoque mensuellement la mort de dizaines de mineurs, et sans la garantie d'un niveau correct de salaire, il est impossible de parler de protection de la main-d'oeuvre nationale.

C'est également une lutte pour l'extension des droits des syndicats. Protéger les syndicalistes de la répression et des persécutions patronales — c'est notre principal devoir. On doit obtenir le droit de grève, car dans la législation actuelle du travail il est en fait interdit. Les procès contre les leaders ouvriers d'Ozenmunaigaz et de l'usine de réparation des wagons conduisirent à qualifier ces grèves d'« illégales » car elles se prolongeaient sous le mot d'ordre de la nationalisation et du contrôle ouvrier, ce qui n'est pas prévu par Code du travail. Nous devons aussi mettre fin aux interdictions de la tenue de paisibles réunions, de piquets et de manifestations, qui sont l'expression d'une protestation contre l'activité des employeurs et du pouvoir.

Vzgliad : D'où est né ce slogan de nationalisation et que signifie-t-il exactement pour vous ?

Ainur Kurmanov : La fermeture des entreprises, la réduction de la production, le non-paiement du salaire et la destruction des dernières forces productives par les employeurs, pousse le personnel non seulement à s'auto-organiser et à résister à ces tendances, mais à s'adresser à l'État comme l'unique intermédiaire pour résoudre les conflits aigus. Mais l'action des services spéciaux et des pouvoirs locaux est dirigée non pas vers la répression de l'arbitraire des patrons mais vers celle de n'importe quelle manifestation de travailleurs, avec le but d'empêcher leur croissance, surtout quand ils exigent la révision du montant de la privatisation. Les plus hauts bureaucrates de l'État en général n'admettent pas la possibilité de nationaliser les usines, même stratégiques. Ne persiste même aucune loi sur « la nationalisation » et toutes leurs actions visent actuellement la conservation du droit de propriété pour les personnages de la haute élite, ayant caché leur identité. Ils sont très nombreux à posséder les actions des sociétés anonymes. Comme chacun sait, n'importe quelle manifestation ouvrière économique se transforme chez nous en acte politique… sérieux problème. Et c'est pourquoi ce slogan de la nationalisation et de la participation des collectifs ouvriers au contrôle de la production et à la répartition des bénéfices devient l'axe idéologique rassembleur du nouveau mouvement ouvrier.

Vzgliad : Les syndicats doivent-ils être en dehors de la politique ?

Ainur Kurmanov : Je pense que le nouveau syndicat combatif dans les conditions actuelles doit agir en tant que mouvement social et ne pas fuir la politique si elle concerne indirectement les intérêts et les droits des travailleurs. Je pense sincèrement et par mon expérience je suis convaincu, que maintenant, par exemple le parti de droite Nur Otan (Patrie), présent dans toutes les branches du pouvoir et à la direction de toutes les grosses entreprises, possède clairement un caractère antiouvrier et fait tout pour maintenir la situation servile des travailleurs qui existe actuellement. Ainsi, par exemple Azat Perouachev, ancien leader du Parti des citoyens, maintenant activiste de Nur Otan et dirigeant de l'Union nationale des entrepreneurs et des employeurs du Kazakhstan, a défendu au Sénat ouvertement les intérêts des riches patrons, intervenant contre beaucoup de thèses progressistes du projet du Code du travail et les bloquant lors de son adoption par le Parlement. C'est pourquoi l'activité du mouvement ouvrier, entre autres politique, est indispensable, et le refus de voter pour le parti du gros business doit devenir un axiome pour tous les salariés dans le pays. •

* Ainur Kurmanov, président de l'association de soutien aux initiatives ouvrières et sociales « Talmas » (« Inlassable »), est militant de Résistancesocialiste (section du Comité pour une Internationale ouvrière — CIO/CWI — auKazakhstan). Nous avons repris cet entretien, paru dans le journald'opposition kazakheVzgliad (Regard), du site web du Mouvement socialiste Vpered (section russe de la IVeInternationale) http://www.vpered.org.ru/

Traduit par J.-M. Krivine (du russe).

Notes

1. La Communauté des États indépendants (CEI) est une entité intergouvernementale composée des anciennes républiques soviétiques : la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l'Azerbaïdjan, le Tadjikistan, l'Armenie, le Kirghizistan, la Moldavie et lOuzbékistan. L'Ukraine y a un statut de « participant », le Turkménistan un statut d'État associé, la Mongolie celui d'observateur. La Géorgie a quitté le CEI en 2009.

2. Le mouvement « Kazakhstan 2112 » réuni plusieurs courants et organisations de la gauche kazakhe.

Par Ainur Kurmanov le 10 août 2010. Publié sur http://www.pressegauche.org/