Dans un entretien accordé à EurActiv.fr, le rapporteur spécial de l'ONU pour l'alimentation, Olivier De Schutter, affirme qu'il faut réguler les marchés agricoles pour lutter contre la volatilité des prix. Il plaide pour que les Etats se dotent de stocks alimentaires, en commun avec leurs voisins.

Comment expliquer la flambée des prix alimentaires actuelle et qui a provoqué une partie des émeutes en Algérie et en Tunisie ?

La hausse des prix vient d'une série de facteurs difficiles à démêler les uns des autres. On peut cependant en distinguer deux.

Le premier d'entre eux tient à de mauvaises récoltes, qui se sont succédées depuis l'été. Cela a commencé avec les incendies de forêt en Russie, la canicule au Kazakhstan, et des pluies considérables au Canada. Puis, la Russie et le Kazakhstan ont restreint leurs exportations début d'août. Par la suite, on appris que des inondations étaient survenues au Pakistan, puis maintenant en Australie, et les récoltes en Amérique latine ont été mauvaises. 

Ces facteurs météorologiques ont créé une panique des gouvernements et des opérateurs sur les marchés. Et c'est le second facteur, qui est la spéculation. La panique sur les marchés n'est pas fondée sur les fondamentaux comme un déséquilibre entre l'offre et la demande, mais sur la crainte que les prix vont continuer à monter. 

Du coup, les opérateurs achètent et vendent plus rapidement, stockent, et écoulent moins vite les marchandises car ils spéculent sur la hausse des prix. Ce comportement est non seulement celui de fonds d'investissements, mais aussi d'opérateurs physiques et de gouvernements, qui perdent confiance dans la capacité, pour les marchés, de satisfaire à la demande.

Vous paraît-il indispensable de réguler les marchés ?

Oui, car les produits agricoles répondent à une logique très différente d'autres secteurs. L'élasticité de l'offre comme de la demande sont très faibles. La capacité des producteurs à réagir aux prix est également relativement faible. L'agriculture ne peut pas non plus répondre facilement aux signaux des marchés.

La régulation des marchés et le développement de systèmes de gestion de l'offre rassurerait les producteurs quant aux prix qu'ils vont recevoir, et protègerait les consommateurs pauvres contre des hausses trop brutales des prix. 

Comment remédier à la hausse des prix alimentaires ?

Tout d'abord, il faut encourager les pays à se doter de stocks, qui sont des instruments de régulation permettant de lutter contre la volatilité des prix. Ces réserves doivent être régionales. Cela permettrait de réduire les coûts de la gestion et de l'entretien de ces stocks, qui peuvent être assez élevés. Les stocks pourraient aussi être moins importants, puisque les pays d'une même région pourraient s'entraider. 

Deuxièmement, il faut lutter contre la spéculation. Pour cela, plusieurs mesures peuvent être prises. La plus modeste consiste à renforcer la transparence sur les échanges des produits dérivés. C'est ce que propose le commissaire européen Michel Barnier, qui constate à juste titre que les opérations de gré à gré sont trop opaques. 

Pourrait-on aller plus loin ?

Les Etats Unis l'ont fait, à travers une loi ambitieuse adoptée en juillet. Ils ont limité le nombre de positions que peuvent prendre les invetisseurs sur les marchés à terme des produits dérivés.

Cela évite, par exemple, qu'en émettant un très grand nombre d'options d'achat sur les marchés du blé, un opérateur comme Goldman Sachs ne destabilise le marché. Avec une telle limite, un opérateur financier ne peut plus manipuler les cours d'un produit agricole.

Les marchés dérivés, dont le rôle est de couvrir les prix, ne remplissent plus du tout cette fonction. Ils sont devenus une sorte d'économie casino, où les opérateurs parient à la hausse et à la baisse. Mais ces paris ne sont pas fondés sur une hausse ou une baisse de la demande.

Faut-il produire davantage ?

Plutôt que de se focaliser sur les volumes et les prix, qui opposent les consommateurs pauvres des villes et les producteurs dans les campagnes, il faut protéger les consommateurs pauvres par des programmes sociaux. La hausse brutale des volumes ruine l'agriculture dans les pays en développement. Et au fond, elle interdit aux paysans les moins compétitifs de continuer de produire.

Quel rôle l'Europe peut-elle jouer dans la lutte contre la volatilité des prix alimentaires ?

Même si la politique agricole commune (PAC) a eu, par le passé, des effets pervers sur les pays en développement, elle a eu une grande vertu: la stabilité des prix. La gestion de l'offre qu'a permis la PAC peut-être un modèle pour l'avenir. Une PAC pour l'Afrique de l'Ouest, par exemple, et qui serait gérée par l'UMOA ou la CDAO, me paraît tout à fait importante. 


Propos recueillis par Loup Besmond de Senneville, publié sur www.euractiv.fr le 13 janvier 2011