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lundi 23 mars 2009

Asie centrale : « L’eau est une question éminemment politique »

Navire enlisé dans l’ancien lit de la mer d’Aral
près de la ville d’Aralsk © Wikimedia Commons


Entretien avec Frédéric Lasserre, professeur au département de géographie de l’Université Laval, au Québec, et directeur de l'Observatoire de Recherches Internationales sur l'Eau (ORIE).

La gestion de l’eau en Asie centrale, l'une des régions les plus arides du globe, où une culture comme le coton absorbe beaucoup d'eau, est un défi de développement économique. En quoi est-elle aussi une question très politique ?
Il y a très peu de régions au monde où elle n’est pas une question politique. L’Asie centrale n’y échappe pas. Surtout dans le contexte de forte crise économique qui a suivi l’explosion de l’URSS, et de montée de l’islamisme. Aux prises avec des contestations politiques, avec le chômage, les gouvernements de la région ont une obligation de résultat : assurer l’emploi maximum et la croissance économique. Parce qu’elle sert au secteur agricole, l’eau est indirectement un enjeu politique.
C’est particulièrement vrai pour les pays d’aval comme l’Ouzbékistan, le Turkménistan et, dans une moindre mesure, le Kazakhstan, qui dépendent largement du secteur irrigué, en particulier de la culture du coton et d’autres cultures d’exportation. Le secteur irrigué y est éminemment politique. Le lobby cotonnier y est d’ailleurs extrêmement puissant. Il contribue – bien que ce ne soit pas la seule explication – à la difficulté de parvenir à des accords clefs entre tous ces pays.
Dans les deux pays d’amont que sont le Tadjikistan et le Kirghizistan, l’eau est un élément tout aussi politique en raison de la production hydroélectrique{1} que ces deux pays essaient de développer, et qui pousse Douchanbé et Bichkek à remettre en cause le partage de la ressource héritée de l’ère soviétique. L’URSS avait construit des barrages en montagne pour produire de l’électricité, et surtout pour créer des réservoirs destinés à irriguer en été les républiques soviétiques d’aval comme le Turkménistan ou l’Ouzbékistan. Ce qui ne fait, aujourd’hui, plus l’affaire du Tadjikistan et du Kirghizistan…
Sur quels grands chantiers, les relations entre les gouvernements de la région se crispent-elles ?
Outre les projets de barrages dans les pays d’amont qui provoquent l’inquiétude des pays d’aval, il y a aussi des chantiers dans les pays d’aval qui suscitent des controverses. Je pense notamment au prolongement du canal du Karakoum au Turkménistan.
L’Ouzbékistan et le Kazakhstan avaient demandé au Turkménistan de cesser le chantier. Résolue à mettre en valeur de nouvelles terres par l’irrigation, Achkhabad n’en a fait qu’à sa tête. Résultat, le volume d’eau disponible de l’Amou Daria pour les pays d’aval, surtout pour la mer d’Aral, a sensiblement diminué.
Décidés de façon unilatérale, sans concertation, la plupart de ces projets créent d’inévitables remous politiques entre les Etats de la région. Ils mettent en oeuvre des politiques individualistes, loin d’un accord global régional.
Autre exemple, le projet du Kazakhstan d’endiguer la petite mer d’Aral. Il se justifie peut-être d’un point de vue environnemental. Les quantités d’eau qui alimentent les deux fleuves, le Syr Daria et l’Amou Daria, sont si faibles que la mer d’Aral va inéluctablement continuer à décliner. A moins de sacrifier de grands pans de l’agriculture, ou de changer les techniques d’irrigation - ce que refuse le lobby cotonnier.
Décidé de façon unilatérale par le Kazakhstan, ce projet de sauvetage de la petite mer d’Aral a eu un impact positif. Son niveau est remonté, des poissons sont revenus, une activité économique et sociale complémentaire a émergé. Toutefois, la grande mer d’Aral ne dépend plus aujourd’hui que de l’approvisionnement de l’Amou Daria. Le résultat est sans appel. Elle décline de façon accélérée.
La gestion des eaux partagées souffre d’un flagrant manque de concertation…
Malgré les efforts de la communauté internationale, du programme des Nations unies pour le développement, de la coopération américaine et de l’UE, peu de choses aboutissent. Des textes sont bien signés, mais ils restent souvent lettre morte.
Les Etats de la région entretiennent une large méfiance les uns envers les autres, les projets sont contradictoires. Les pays d’amont aimeraient bien turbiner davantage, les pays d’aval voudraient garder leur rôle de réservoir.
A la question de la volonté politique, s’ajoute celle de la demande. A-t-on besoin de laisser tant de place au secteur cotonnier, ou des techniques d’irrigation aussi obsolètes et sur-consommatrices en plein désert ? Le coton est une plante extrêmement gourmande en eau. Les taux d’arrosage sont de l’ordre de 15.000 m3 par hectares !
Comment expliquez-vous les réticences de Tachkent ou d’Astana à sabrer dans les activités du secteur irrigué ?
Les gouvernements hésitent à affronter le lobby cotonnier. Le secteur emploie une importante main-d’œuvre, souvent saisonnière pour la récolte et la transformation. Le secteur irrigué fournit par ailleurs un nombre important de devises à l’exportation. Les seules exportations de coton en Ouzbékistan représentaient 60% des revenus d’exportation ! Au Tadjikistan, le coton occupe le second poste d’exportation avec 20%.
Or tant que les chemins d’exportation d’hydrocarbures ne seront pas totalement stabilisés, l’économie de ces pays continuera à dépendre fortement du secteur irrigué.
Voyez-vous une dimension idéologique dans la gestion de l’eau en Asie centrale ?
S’il y en avait une, ce serait la persistance de l’idéologie soviétique, à savoir mobiliser les ressources de la nature pour les mettre en valeur d’un point de vue économique. Les gouvernements d’Asie centrale ne sont pas encore totalement départis de ce paradigme. On le voit à travers l’insistance de l’Ouzbékistan à ressusciter les vieux projets de détournement de fleuves sibériens.
A défaut d’empêcher le Tadjikistan et le Kirghizistan de turbiner comme ils l’entendent, Tachkent pense toujours qu’« il n’y aurait qu’à » convaincre la Russie d’aller détourner les fleuves sibériens pour augmenter ces ressources en eau ! Il n’y a rien dans le discours du pouvoir ouzbek qui laisse entrevoir une politique de restriction de la demande.

Enfin, l’instabilité en Afghanistan, pays riverain de l’Amou Daria, a-t-elle une incidence sur la gestion de l’eau dans la région ?

Compte tenu de la situation économique et politique du pays, Kaboul n’est pas pour le moment un acteur dans la gestion de ce fleuve. L’essentiel des canaux d’irrigation ont été détruits par les années de guerre. A l’heure actuelle, le gouvernement central n’a aucun moyen de les réparer. Quant à la communauté internationale, elle n’a pas livré les moyens techniques et financiers promis pour la reconstruction.

Advenant une éventuelle stabilisation du régime, il y aura certainement une volonté de relancer l’économie par le biais de l’agriculture irriguée. Ce qui représentera alors une consommation supplémentaire des eaux du fleuve, et demandera aux autres pays riverains de s’adapter.


{1} Au Kirghizistan, 93% de l’électricité produite est hydroélectrique. En 2005, le Tadjikistan a exporté 4,3 milliards kWh, le Kirghizistan 2,7 milliards.

CAUCAZ.COM Article paru dans l'édition du 23/03/2009 Par Célia Chauffour (propos recueilis par)

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