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mercredi 10 février 2010

Une volte-face judiciaire met temporairement fin à une nouvelle campagne d’intimidation à l’encontre des médias

Reporters sans frontières salue la victoire des médias indépendants et des organisations de défense des journalistes contre un jugement du tribunal de Medeu (Almaty), qui instaurait de facto une véritable censure dans tout le pays. "Une campagne d'intimidation a pris fin. Mais elle a causé des dommages importants, tant sur le plan financier pour les titres saisis, que sur le plan de la peur qui s'étend désormais à tous les médias. Les pertes des journaux saisis devront être compensées. Et la plus grande vigilance est de mise face aux manœuvres du pouvoir autocratique du président Nazarbayev, qui va certainement revenir à des attaques plus ciblées", a déclaré l'organisation.

Le 9 février, le tribunal de Medeu est revenu sur sa propre injonction, prononcée huit jours plus tôt et qui interdisait à tous les médias de publier des informations susceptibles de "porter atteinte à l'honneur et à la réputation" de l'influent gendre du président de la République, l'homme d'affaires Timour Koulibaev. Ce premier jugement faisait suite à la plainte déposée par l'homme d'affaires contre quatre titres indépendants, Respublika, Moya Respublika, Vzglyad et Kursiv, après qu'ils avaient publié une lettre ouverte de l'opposant en exil Muhtar Ablyazov, accusant M. Koulibaev de corruption. Le tribunal avait en outre ordonné la saisie immédiate des quatre titres. Pour Reporters sans frontières, "les journaux incriminés n'avaient pourtant fait que leur devoir en mentionnant, sans les reprendre à leur compte, les graves accusations portées contre un personnage public de premier plan".

La lettre ouverte de Muhtar Ablyazov accusait Timour Koulibaev de détournements de fonds dans la cession de parts d'une entreprise publique kazakhe à la Compagnie pétrolière nationale chinoise. L'affaire n'a pas encore été instruite sur le fond, et le parquet général affirme pour l'instant ne pas avoir reçu les documents envoyés par M. Ablyazov.

L'injonction du 1er février a servi de prétexte aux autorités pour lancer une vaste campagne de répression et d'intimidation visant au premier chef les quatre journaux précités, mais également l'ensemble de la presse, les imprimeries, et les points de diffusion. Alors que tous les journaux ont fait état des accusations portées contre Timour Koulibaev, les titres indépendants et d'opposition ont systématiquement été ciblés. Comme prises de fièvre, les autorités ont convoqué un impressionnant arsenal répressif à travers tout le pays, non seulement à Almaty et Astana (les deux plus grandes villes du pays), mais également à Chymkent et dans les régions d'Aktobe, Karaganda, Oust-Kamenogorsk et d'autres. Les titres qui n'avaient fait que mentionner les accusations portées contre Timour Koulibaev ont été saisis dès leur impression, ou retirés des points de vente.

Le 5 février, dans la région d'Aktobe, au moins vingt et un médias et un kiosque se sont vu remettre un avis d'un tribunal local, reprenant le jugement de Medeu et les avertissant des conséquences potentielles d'une publication sur l'affaire Koulibaev. Cinq magistrats et un détachement de policiers sont venus présenter cet avertissement à la rédaction de Diapazon, journal critique du pouvoir et déjà visé par des procédures séparées.

Le même jour, après que la rédaction du journal économique Kursiv avait reçu copie du jugement du 1er février, son rédacteur en chef a soudainement été licencié. La rédaction s'est refusée à tout commentaire, mais des observateurs locaux relèvent que Kursiv, qui s'est par ailleurs désolidarisé du mouvement de protestation, est diffusé dans toutes les compagnies aériennes kazakhes, et fait donc l'objet d'une attention particulière de la part des officiels.

Le 8 février, la directrice de l'imprimerie "Vremya-Print", qui publie le journal Svoboda Slova ("Liberté d'expression"), a été convoquée au tribunal administratif d'Almaty pour répondre de la Une du journal, qui titrait sur une photo grand format de Timour Koulibaev avec le titre : "Le second président du Kazakhstan ?". Le journal lui-même avait été saisi. D'abord menacée de cinq jours de prison en vertu de l'article 522, §2 du Code des infractions administratives, Elena Burmistrova a finalement été relaxée, mais les journalistes locaux témoignent de la forte pression ressentie par les autres imprimeries et les rédactions. "Tous sont dans le plus grand désarroi. En pratique, c'est le règne de la censure", commentait pour Reporters sans frontières Rozlana Taukina, présidente de l'ONG "Journalistes en danger".

Le premier jugement du tribunal de Medeu avait suscité un concert de protestations, à l'intérieur du pays comme à l'extérieur. Les organisations de défense de la liberté de la presse, mais aussi l'Union des journalistes du Kazakhstan (semi-officielle), rejoints par les partis politiques d'opposition "Alga" et "Azat", avaient condamné un cas de censure patente. Le représentant de l'OSCE pour la liberté des médias, Miklos Haraszti, a fustigé "la mauvaise habitude consistant à tirer sur le porteur des mauvaises nouvelles", en dressant un parallèle entre la situation kazakhe et les récentes poursuites pour "diffamation" de cinq grand titres de presse au Tadjikistan.

A l'appel de huit journaux et des ONG "Adil-Soz" et "Journalistes en danger", une centaine de personnes, munies de pancartes disant "Non à la censure", se sont rassemblées le 9 février devant le tribunal de Medeu avant qu'il ne rende son jugement en appel. La demande de révision avait été déposée par Respublika et Vzglyad, puis soutenue par six autres titres.

"L'annulation du jugement nous étonne nous-mêmes", a commenté Rozlana Taukina au sortir du tribunal, "mais cette affaire avait pris une grande importance, et commençait à être gênante pour les autorités. Les médias étaient unis et déterminés, les rédactions envisageaient de lancer une grève de la faim et de venir protester à Vienne auprès de l'OSCE. Un cas de censure si direct, pour le pays qui est à la tête de l'OSCE, était trop provocant."

Après avoir frappé fort contre les médias indépendants ces derniers mois, il semble donc que les autorités soient entrées dans un jeu plus subtil. Elles soufflent le chaud et le froid, entretiennent la tension pour intimider les rédactions, mais elles devront désormais jouer sur la discrétion. Les attaques séparées se poursuivent, par exemple contre Respublika, la chaîne câblée K+, ou le journal Diapazon dans l'Oural. Mais le pouvoir semble désormais juger préférable d'agir en ordre dispersé, plutôt que de se confronter au front uni de la profession.

Sur http://www.rsf.org/ le 10 février 2010

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