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dimanche 5 février 2012

Massacre de grévistes sur fond de fin de règne

Seize morts, des dizaines de blessés, instauration de l'état d'urgence — l'intervention policière du 16 décembre 2011 contre les travailleurs du pétrole de Zhanaozen, en grève depuis le 17 mai, marque un saut qualitatif dans la guerre de classes au Kazakhstan. Elle indique aussi de la perte de légitimité du régime autoritaire de Noursoultan Nazarbayev.
Le président Noursoultan Nazarbayev (2) est l'ancien président du Conseil des ministres de la République soviétique du Kazakhstan (1984-1989), ancien premier secrétaire du Parti communiste kazakh (1989-1991), président de la République (indépendante) du Kazakhstan depuis 1990, régulièrement « réélu » avec plus de 90 % des suffrages exprimés. Malgré la répression policière continue, il ne parvient plus à empêcher le développement d'un mouvement ouvrier indépendant.
Une grève longue et massive, sauvagement réprimée (3)
Le conflit social dans l'industrie pétrolière de Zhanaozen (1) a commencé en décembre 2010. Les salariés de l'entreprise pétrolière AO Karazhanbasmunai, un joint-venture entre KazMunaiGaz et le CITIC Group chinois, unis dans leur nouveau syndicat indépendant, ont présenté des revendications salariales et exigé une amélioration de leurs conditions du travail. Selon les données patronales, considérées comme surévaluées, le salaire moyen des neuf catégories ouvrières principales serait passé de 575 euros en 2008 à 1050 euros, soit une hausse de 54 %, alors que le coût de la vie a augmenté de 70 % au cours de la même période et que le cours du tenga, monnaie locale, a baissé de 25 %. Ces augmentations salariales étaient le résultats des grèves des travailleurs du pétrole à Zhanaozen en automne 2008, en avril et novembre 2009 et en mars 2010.

Lors des négociations, en janvier-février 2011, l'employeur est parvenu à corrompre le dirigeant syndical pour le faire renoncer à toutes les revendications. En mars les travailleurs ont organisé un congrès extraordinaire du syndicat et réélu une nouvelle direction, alors que l'employeur confisquait les locaux et les archives du syndicat. Les autorités locales l'ont soutenu. Le 9 mai, 1 300 salariés ont refusé de prendre leurs repas et ont entamé une grève de la faim pour protester contre la tyrannie de l'employeur. Le 12 mai, la direction de la compagnie a promis de rendre au syndicat ses archives et ses locaux et de commencer les négociations le 17 mai afin de résoudre le conflit du travail. Mais, le 17 mai, ces promesses étaient « oubliées ». Alors tous les 4 500 salariés de l'équipe du matin ont tenu une assemblée générale et décidé de lancer la grève, élisant une représentation de six membres, dont l'avocate du syndicat, Natalia Sokolova, en vue des négociations. L'employeur et les autorités locales ont déclaré cette grève illégale. Le 25 mai, Natalia Sokolova a été emprisonnée pour huit jours pour « incitation à la haine sociale » et « l'organisation de réunions et manifestations illégales ». C'était son second emprisonnement en deux mois.

Malgré les intimidations, le 26 mai plus de 8 000 salariés des diverses filiales de KazMunnaiGaz étaient en grève reconductible et 22 salariés de la filiale Ozenmunaygaz commençaient une grève de la faim. La répression s'est accentuée : 17 grévistes de la faim ont été licenciés ; en juin, huit syndicalistes, dont cinq représentants des grévistes, étaient poursuivis sous les mêmes accusations que Natalia Sokolova ; le 31 mai son appartement a été fouillé par la police qui a saisi ses dossiers et son ordinateur ; le 5 juin la police a brutalement dispersé les grévistes manifestant devant l'administration régionale à Aktaou, blessant plusieurs d'entre eux et en arrêtant une trentaine ; le leader syndical de l'entreprise AO Karazhanbasmunai, Sisenbayev Kouaniche, a été condamné à deux mois de travaux forcés ; un syndicaliste diabétique détenu durant plusieurs semaines a été privé de son traitement ; le 12 juin la police a agressé les épouses des grévistes, les battant et les accusant de participer à une réunion illégale ; dans la nuit du 8 au 9 juillet la police a tenté de prendre d'assaut le campement des grévistes sur le terrain de la compagnie Ozenmunaygaz — une quarantaine de grévistes se sont aspergés d'essence et ont menacé de s'immoler collectivement par le feu, ce qui a fait hésiter les agresseurs, mais le 10 juillet l'assaut a repris et plusieurs grévistes ont été arrêtés.

C'est alors que les grévistes, selon les moments entre 5 000 et 8 000, ont occupé la place centrale de la ville de Zhanaozen.

La répression a atteint un nouveau seuil le 7 août, lorsque Natalia Sokolova a été condamnée à six ans de prison pour « incitation à la discorde sociale ». Le 17 août un autre militant syndical, Akzhanat Aminov, a été condamné à deux ans avec sursis pour « organisation illégale des rassemblements et des marches ».

Le patronat a également eu recours à des bandes armées. Dès la première semaine de grève le logement du vice-président du syndicat dans l'entreprise Karazhanbasmunai, Ayderbayev Aslanbek, a été brûlé. Des bandes armées ont agressé de nombreux syndicalistes. Le 2 août le militant syndicaliste Zhaksylyk Tourbayev a été assassiné. Le 14 août, c'est la fille, âgée de 18 ans, du président du comité syndical dans l'entreprise Ozenmunaygaz, Zhansaul Karabalayev, qui a été trouvée assassinée. La police n'a, bien sûr, pas retrouvé les coupables.

Le patronat pétrolier a également eu recours à des licenciements massifs : 2 600 grévistes ont été licenciés. Les autorités et le patronat de Kazmunaygaz et de CITIC Group espéraient ainsi affamer les grévistes et briser leur détermination.

Les arrestations et les assassinats des dirigeants grévistes n'ont pas réussi à casser le mouvement. Au contraire, comme l'écrivent les militants de Résistance socialiste du Kazakhstan (4) « ils ont conduit à l'apparition d'une nouvelle galaxie de dirigeants et d'animateurs, dont de nombreuses femmes » : après l'arrestation de Natalia Sokolova « d'autres militantes ont pris le devant de la scène, comme Natalia Ajigalieva, Rosa Touletayeva, Aïman Ongarbayeva et d'autres, qui par leur héroïsme et leur sacrifice ont gagné la gloire et le respect des travailleurs du pétrole et des habitants. (…) Seule l'autodiscipline des grévistes organisés dans plusieurs réseaux et structures n'a pas permis à la répression de casser la grève, lui garantissant un large soutien de la population locale et permettant ainsi à la grève de durer si longtemps. En novembre un comité syndical unitaire a été créé pour commencer la formation d'un syndicat unique. Il a adopté des appels aux travailleurs de tout le pays pour une action concertée et la mise en place d'un front unique. Les grévistes de Zhanaozen et Karazhanbas ont lancé l'idée du boycott des élections parlementaires, refusant de reconnaître les partis politiques. Le 16 décembre, une réunion devait avoir lieu, pour lancer à travers le pays un appel à la grève générale politique, exigeant la démission du gouvernement et du président Nazarbayev. C'est la raison de la préparation du terrible massacre des travailleurs, c'est là que réside l'essence des meurtres. Le gouvernement visait ainsi à empêcher toute mobilisation politique et sociale, toute grève à la veille des élections du 15 janvier. Ak-Orda (5) a décidé à la fois de noyer la grève des travailleurs du pétrole durant depuis des mois et d'intimider les travailleurs de tout le pays. »


Carnage et coup d'État rampant

Tolegen Zhukeyev, qui a été vice-premier ministre et n° 2 du Conseil de Sécurité avant d'être écarté de la scène politique officielle, n'a pas hésité à accuser le directeur du cabinet du président Nazarbayev, Aslan Musin, d'avoir planifié le massacre à Zhanaozen. La décision d'organiser sur la place centrale de la ville, occupée depuis juillet par les grévistes, les festivité à la gloire du vingtième anniversaire du régime relevait de la provocation. De plus, selon plusieurs témoignages, des policiers et des soldats armés ont été postés sur les toits environnants et des véhicules blindés attendaient le signal des émeutes. La proclamation de l'état d'exception, comme la brutale intervention militaire dans la ville voisine de Chetpe la nuit du 17 au 18 décembre (un mort officiellement) et la prolongation de l'état d'exception jusqu'au 31 janvier dans la région — et donc l'interdiction des élections du 15 janvier dans cette région pétrolière — indiquent que le régime autoritaire ne cherchait plus à se cacher derrière le voile « démocratique », du moins dans cette importante région industrielle.

En même temps, la scène politique officielle kazakhe vit une ambiance de « fin de règne ». Le président Nazarbayev s'est senti obligé d'annoncer le renvoi de son beau-fils, Timour Koulibayev, du poste de PDG du gigantesque holding Samrouk-Kazyna, qui contrôle au profit de la famille régnante toutes les entreprises d'État (pétrole, gaz, minerais, etc.) — même si ce n'est pas la première fois que celui-ci est mis à l'écart tout en préservant toutes ses richesses : il conserve ainsi sa place au conseil d'administration de Gazprom. Le 29 décembre, le parquet du Kazakhstan a annoncé qu'il ouvrait une enquête « sur l'utilisation des armes par les forces de sécurité ayant entraîné la mort dans l'intention de tuer ». Dans les couloirs du pouvoir nombreux sont ceux qui voient d'un mauvais œil la concentration de tous les leviers du pouvoir entre les mains d'Aslan Musin. Le président Nazarbayev lui même semble avoir peur des nouveaux prédateurs : il a interdit à ses proches de quitter le pays au cours des congés de fin d'année. Bref, au sommet de l'État kazakh les prises de décisions contradictoires indiquent le début d'une guerre de succession.

Le massacre de Zhanaozen a provoqué des manifestations de solidarité dans tout le pays, malgré l'interdiction des rassemblements, la présence policière insistante et les arrestations. Après que la ville de Zhanaozen ait été coupée du reste du pays — encerclement par l'armée et les forces spéciales, coupure des téléphones et de l'internet — des centaines de personnes au moins ont bravé l'état d'urgence en manifestant dans la capitale régionale Aktau. Dans la ville de Chetpe, des centaines de manifestants ont arrêté un train transportant du matériel de répression et fait dérailler la locomotive. A Zhanaozen la résistance, devenue clandestine, se poursuit.

Les tentatives du régime de diviser les travailleurs entre les « vrais Kazakhs » et les « rapatriés », entre ceux qui parlent le kazakh et ceux qui parlent le russe, ne fonctionnent pas. Interviewé par la chaine de télévision K+, un gréviste de Zhanaozen a clairement exprimé les sentiments des travailleurs : « En tant que Kazakh nous étions divisés en trois hordes, mais maintenant la ligne de séparation passe entre les esclaves et les riches. C'est pour cela qu'on tente d'inventer la caste des "rapatriés". Mais cela ne peut pas nous diviser. Voyez, Natalia Sokolova a été condamnée à six ans de prison pour avoir "semé la lutte sociale". Pourquoi alors Timour Koulibayev, qui parle de "rapatriés", n'est-il objet d'aucune mise en accusation ? Nous sommes ici et ne luttons pas pour nous-mêmes mais pour l'avenir de nos enfants et du peuple tout entier, indépendamment de la nationalité. Et nous allons gagner ! » (6)

La répartition inéquitable des richesses nationales, la corruption généralisée, la domination des sociétés transnationales (ces dernières années, chinoises), l'exploitation prédatrice du travail et des ressources naturelles, le chômage de masse, la pauvreté et la misère des salariés — tout cela a conduit à l'élargissement d'un conflit de travail et à l'émergence d'un mouvement de masse. La demande de nationalisation et du contrôle de la production par les travailleurs est devenue une demande politique majeure des ouvriers du pétrole depuis déjà 2009 et elle est reprise par d'autres.

La classe ouvrière du Kazakhstan a aussi connu un changement générationnel : les ouvriers intégrés à l'époque soviétique ont fait place à des jeunes, venus surtout des provinces, cruellement exploités et travaillant dans des conditions épouvantables. Le désir d'auto-organisation et la terreur policière ont conduit à une radicalisation et au développement d'une conscience politique nouvelle. La nouvelle jeune classe ouvrière donne naissance à des leaders intransigeants, à des militants et à des militantes nouveaux, qui n'hésitent plus à poser la question du pouvoir.


Notes

1. Le nom de cette ville de 100 000 habitants, à l'ouest du Kazakhstan, près de la Mer Caspienne, dans la région de Manguistaou, est aussi transcrit « Janaozen ».

2. Noursoultan Nazarbayev, 71 ans, ancien président du Conseil des ministres de la République soviétique du Kazakhstan (1984-1989), ancien premier secrétaire du Parti communiste kazakh (1989-1991), est président de la République (indépendante) du Kazakhstan depuis 1990, régulièrement « réélu » avec plus de 90 % des suffrages exprimés. Il contrôle le trust étatique KazMunaiGaz, qui regroupe toute la production, la transformation et le transport du gaz et du pétrole et dispose de nombreuses filiales, dont certaines sont des sociétés anonymes cotées en Bourse ou des joint-ventures avec les grandes compagnies pétrolières mondiales. Noursoultan Nazarbayev aurait profité de cette structure pour transférer au moins un milliard de dollars sur des comptes bancaires dans d'autres pays, selon Sergei Guriev et Andrei Rachinsky, (The Evolution of Personal Wealth in the Former Soviet Union and Central and Eastern Europe - octobre 2006).

3. Les informations reproduites ici ont été collectées par le Groupe d'analyse du Mouvement socialiste du Kazakhstan, cf. http://www.socialismkz.info/news/2011-09-30-1710

4. http://www.socialismkz.info/news/2012-01-03-2100

5. Ak-Orda (littéralement la horde blanche) est le nom du palais présidentiel construit pour Nazarbayev en 2004 et, par extension, le terme utilisé pour qualifier le pouvoir.

6. Cité par Résistance socialiste du Kazakhstan : http://www.socialismkz.info/news/2012-01-03-2100


Par Jan Malewski, publié le 5 février 2012 sur http://orta.dynalias.org


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