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lundi 30 mars 2009

Altaï, quand pleuvent les protons


Depuis des décennies, ce beau pays de montagnes, situé au sud de la Sibérie, est parsemé d’épaves de fusées spatiales. Elles chutent au beau milieu des pâturages, mais aussi dans les potagers. Les Altaïens en ont peur ou s’en étonnent. Un voisinage incongru et dangereux.

Des carcasses de télés, des microcircuits couverts de poussière, des tourne-disques restés muets depuis la chute de l'URSS … La petite maison en bois du retraité Alexeï Koudriavtsev ressemble au bric-à-brac d’un vieux passionné de mécanique. S i ce n’est qu’entre une boîte à outils et un récepteur de radio démodé trône un énorme morceau de fer cramé. Un fragment de la fusée Proton-M.

Vous êtes à Labogan, un village situé à 4 000 km de Moscou, au coeur de l'Altaï, cette république isolée qu’aucune ligne aérienne ni ferroviaire ne relie au reste de la Russie. Ici, seul le dessin régulier des poteaux électriques quadrillant les plaines à perte de vue rappelle la civilisation. De temps à autre, un nuage de poussière monte dans l’air : un camion passe. Il ralentit pour contourner une vache au milieu de la route.
Bien que la piste de lancement Baïkonour se trouve à 1700 km, dans la steppe kazakh, c'est ici que chutent les fragments des fusées. Dans les années soixante, les scientifiques soviétiques avaient dessiné « la zone de chute 310 », au milieu des montagnes enneigées. Mais depuis peu, les ordures spatiales s'effondrent tout à côté des maisons. « C'est pour récupérer les boulons que j'ai rapporté cette épave », explique Alexeï. L'automne dernier, ce mécanicien âgé de 60 ans a découvert ce cadeau du ciel à côté du village. « Aujourd'hui les gens ont beaucoup salopé le monde. J’aimerais bien savoir quelles en seront les conséquences », s'interroge Alexeï.

Les fusées chutent, les cancers s'envolent

Les conséquences sont graves. Proton-M est propulsé avec du peroxyde d’azote et de la diméthylhydrazine asymétrique dite heptyl, une substance cancérigène et mutagène. L'Agence spatiale fédérale russe, Roskosmos, maintient que les ergols* résiduels sont rejetés dans les couches atmosphériques supérieures et ne descendent pas jusqu’à la Terre. Pourtant, selon les scientifiques travaillant dans la région, le 15 mars 2008, au lendemain du lancement d’un Proton-M, les habitants ont témoigné d'une brume bleuâtre. Cette fois-ci, huit fragments ont été retrouvés dans les villages. Plusieurs habitants se sont plaints de problèmes de santé. Le taux de cancer a augmenté depuis ces trois dernières années, selon Nelia Kara-Sal, le médecin en chef de l'hôpital du district d’Oust-Kan qui jouxte la zone de chute 310. Est-ce le résultat de l’activité spatiale ? Ou la conséquence de plus de 500 explosions de bombes atomiques entre 1949 et 1989 sur le polygone de S emipalatinsk au Kazakhstan, à seulement 400 km ? En l’absence de toute enquête scientifique indépendante, les Altaïens restent libres de toute interprétation.

Le chemin des épaves

« Bientôt les débris vont tomber sur nos maisons ! Je ne cesse de dire à Roskosmos : Modifiez la trajectoire ! », s’exclame Leonid Maikov, le maire du district d'Oust-Kan. Il est révolté par l’attitude du géant spatial russe à qui un lancement de la fusée Proton-M, plaçant un satellite étranger en orbite, rapporte 90 millions de dollars. Les Altaïens eux, ne touchent aucune indemnité. À quelques dizaines de kilomètres à l’ouest d’Oust-Kan, le chemin de terre caillouteux se termine en cul-de-sac. C'est le village de Korgon. Ici, chaque villageois a vu une épave au moins une fois dans sa vie. Dmitri Alatchev, 81 ans, portant une barbe comme celle de Lev Tolstoï, raconte son histoire à la manière d'un conte traditionnel russe : « C'était l'hiver. Une nuit, nous avons entendu du bruit comme si quelque chose était tombé sur le toit des voisins. Puis, le printemps est arrivé. La neige a fondu. Un jour, j'ai vu un couvercle dans le potager. J'ai voulu le prendre, mais il s’est trouvé que c'était un tonneau bien pris dans la terre. Je l'ai tiré par l’anse. Mais il ne sortait pas. Je l'ai remué avec une pince. Et j'ai tiré le tonneau ». Après avoir touché le métal, Dmitri a eu du mal à marcher pendant dix jours.Dans les montagnes, les « tonneaux » sont d’un autre calibre. En 2005, un étage entier d’une fusée est tombé près d'un refuge de bergers, un cylindre de douze mètres sur quatre. Le Ministère de situations d’urgence a chargé Vladimir Negodiaev, habitant de Korgon et propriétaire d'une quinzaine de chevaux, de descendre les débris jusqu’à son village. Tout en nage, les sept trotteurs Orlov suivaient un étroit sentier, serpentant les montagnes aux pentes abruptes. Des ponts suspendus, des broussailles infranchissables, un trajet d’une dizaine d'heures, 100 kg de fer dans la sacoche de chaque cheval. Depuis cette aventure, le vif trotteur gris, favori de Vladimir, porte le nom de « Kosmos »…

Texte et photos - Lisa Alissova

* Un ergol, dans le domaine de l'astronautique, est une substance homogène employée seule ou en association avec d'autres pour fournir de l'énergie (notamment dans un système propulsif à réaction).

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