Cet ouvrage propose une synthèse pertinente de la vie politique, économique et sociale du Kazakhstan depuis ces dix dernières années, aucun travail d’une telle ampleur sur l’histoire de cette république depuis son indépendance en 1991 n’ayant été publié à ce jour. Rédigé par un chercheur confirmé qui s’est consacré depuis de longues années à l’étude du Kazakhstan, l’ouvrage est précis et contient de nombreuses données nouvelles. Divisé en sept chapitres, complétés de notes, d’une carte, de tableaux, d’une bibliographie et d’un index, le livre de M. B. Olcott aborde les grands thèmes qui constituent les enjeux du Kazakhstan post-soviétique : la construction nationale, les réformes économiques, la transition vers l’économie de marché, la remise en cause de la pluralité politique et de la liberté d’expression.
Le second chapitre, qui suit un chapitre introductif de présentation générale, retrace les premiers pas du Kazakhstan après l’indépendance, les interrogations et les doutes quant à cette dernière et les tentatives du pouvoir de maintenir une union sur une base plus égalitaire avec la Russie. L’auteur ne ménage pas ses critiques en montrant l’évolution d’un président autrefois convaincu du maintien de l’Union (contredisant ainsi largement l’historiographie officielle contemporaine selon laquelle le Kazakhstan se serait battu pour obtenir son indépendance) mais qui, depuis plusieurs années, participe très largement à la kazakhisation du pays. Comme le précise l’auteur p. 47, ce n’est que lorsque sa crainte de la Russie s’est amenuisée et après avoir compris que l’intégration était désormais impossible que N. Nazarbaev a envisagé une politique indépendante plus prononcée pour le Kazakhstan.
Le troisième chapitre se penche sur la construction nationale et la kazakhisation progressive des instances administratives et politiques – souvent aux dépens des Russes qui occupaient jusque-là nombre de postes à responsabilité – ainsi que sur l’auto-proclamation par Nazarbaev de son rôle de responsable de la «concorde sociale et politique». Cette approche permet au numéro un kazakh de justifier sa politique de restriction de la liberté d’expression. Le chapitre suivant est d’ailleurs consacré à la confiscation de la démocratie organisée par le président et son entourage au fil de diverses réformes constitutionnelles et législatives : sont abordés le contrôle de plus en plus strict des médias, l’évolution du pouvoir législatif vers une fonction strictement symbolique, le pouvoir exécutif très largement concentré entre les mains du président et la création de partis politiques d’opposition factices afin de donner une vitrine démocratique au Kazakhstan.
Le cinquième chapitre traite de l’évolution économique, tout particulièrement de l’épineuse question de la privatisation, tant décriée par une grande part de la population, qui s’estime appauvrie et victime des multiples réformes. Les problèmes liés à l’investissement étranger sont eux aussi pris en compte, alors que l’opacité de la législation et des textes administratifs freine les investisseurs étrangers tentés par l’aventure du pétrole et du gaz kazakhstanais. Ce chapitre est étayé de nombreux chiffres faisant de l’ouvrage un document essentiel. Le chapitre 6 brosse un tableau des problèmes sociaux, démographiques, scolaires et linguistiques tandis que le dernier chapitre tente une synthèse du devenir du pays et de la politique américaine à mener à son égard.
Outre l’importance de la documentation citée et la pertinence de la synthèse, l’ouvrage dénonce sans ambages la corruption présente à l’échelle de la république, en particulier au sein de la famille présidentielle – l’une des plus grandes fortunes mondiales – qui s’est accaparée une grande part des ressources de l’État. Le titre Kazakhstan : promesses non tenues est d’ailleurs dénué de toute ambiguïté quant à la teneur de l’analyse. L’ouvrage a ainsi le mérite de faire écho à un certain nombre d’opposants kazakhstanais trop peu connus en Occident et qui ont aujourd’hui de plus en plus de difficultés à faire entendre leur voix. Les critiques n’accablent cependant pas le pays en lui-même, l’auteur mentionnant également toutes les difficultés auxquelles la jeune république indépendante, comme ses voisines, est inévitablement confrontée.
Sébastien Peyrouse, « Martha Brill Olcott, Kazakhstan: unfulfilled promise »
Cahiers d’Asie centrale, 11/12 /2004, mis en ligne le 23 juin 2009
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