Parallèlement à la privatisation, encouragée par les gouvernements dans l'incapacité de faire face à un afflux massif d'étudiants (plus de 50 % d'augmentation en dix ans, soit plus de 152 millions d'étudiants dans le monde), un autre phénomène traverse aujourd'hui l'enseignement supérieur mondial : la course à l'excellence. Attisée par la floraison de classements internationaux, cette concurrence entre universités n'est pas l'apanage des pays riches. Le désir de figurer parmi les meilleurs est devenu obsédant dans les pays émergents.
De la Chine à la Russie en passant par la Malaisie, ces pays sélectionnent quelques-unes de leurs universités pour les lancer dans la compétition, au risque d'accroître les inégalités d'accès à l'enseignement supérieur.
Ces questions, y compris celle, cruciale, de la qualité, tant dans le secteur public que privé, sont au centre de la Conférence internationale de l'enseignement supérieur qui s'ouvre lundi 6 juillet à l'Unesco. Entretien avec le Marocain Jamil Salmi, chargé de l'enseignement supérieur à la Banque mondiale et auteur d'un rapport sur "Le défi d'établir des universités de rang mondial".
La privatisation de l'enseignement supérieur continue-t-elle de gagner du terrain ?
C'est une tendance très lourde, quel que soit le niveau de développement des pays. Mais la privatisation, particulièrement à l'oeuvre en Asie de l'Est - en Corée et en Indonésie par exemple - et en Amérique latine - au Brésil, au Chili ou en Colombie, où plus de la moitié des effectifs étudiants y sont inscrits - ou encore en Europe de l'Est, n'est pas synonyme systématiquement de piètre qualité.
C'est extrêmement variable d'un pays à l'autre, d'une tradition à l'autre. Les deux extrêmes existent : le meilleur avec des universités de haute qualité comme l'Université catholique du Chili ou celle du Pérou comme le pire, ainsi les "diploma mills", ces usines à diplômes qui fleurissent en Amérique centrale notamment.
Aux Philippines, par exemple, 70 % des étudiants sont inscrits dans des établissements privés ; le chiffre est de 75 % au Brésil. Au Kazakhstan, plus de cent établissements privés ont vu le jour depuis l'indépendance du pays en 1993.
Comment expliquez vous la course à l'excellence dans les pays émergents ?
Ces économies veulent développer leurs économies du savoir et se disent que le seul moyen passe par la création d'un établissement bien doté en recherche qui apparaîtra dans les classements internationaux. Leurs gouvernements sont également motivés par des raisons de prestige national : l'université, comme le football, fait partie des signes extérieurs de richesse d'un pays.
La Russie, la Corée du Sud ou la Malaisie, par exemple, se posent ces questions. Le Kazakhstan s'apprête à lancer une nouvelle université à Astana. C'est sur leurs interrogations qu'est né mon rapport.
Ces créations sont-elles, selon vous, opportunes ?
Pas toujours, loin de là. Les économies scandinaves, par exemple, qui marchent très bien, n'ont aucune université de rang mondial telle que le mesurent les classements internationaux. Je crois qu'il faut mettre en garde les pays sur le risque de créer une ou deux universités de rang mondial en dépouillant les universités locales qui sont déjà démunies.
En Chine, qui a d'ores et déjà parié sur trois universités, les établissements phares recevraient une aide spécifique dans le cadre du plan de relance du gouvernement ; la Malaisie a désigné récemment quatre universités à statut spécial qui vont recevoir plus de moyens que les autres. Ces paris peuvent s'avérer dangereux si cela se traduit par moins de ressources pour les autres universités.
Il me semble qu'il faut davantage réfléchir en termes de système d'enseignement supérieur dans son ensemble avec tout l'éventail d'institutions qui en font la diversité et la richesse. L'Allemagne, par exemple, compte un grand nombre de "Fachhochschulen" qui ne figurent pas dans les palmarès.
Même chose pour les Instituts universitaires de technologie en France. L'ambition de l'enseignement supérieur, on l'oublie trop souvent, ce n'est pas que l'innovation qui, via la recherche, rapporte des brevets, c'est aussi et surtout la formation de jeunes qualifiés.
Vous évoquez l'aide que peuvent apporter les diasporas. C'est une piste pour contrer la fuite des cerveaux ?
Bangalore, en Inde, dont on vante la réussite dans les technologies de l'information, a bénéficié de l'aide et de l'apport de diplômés indiens partis aux Etats-Unis et qui ont investi dans leur pays d'origine. Même chose à Taïwan, en Chine et en Corée. On est en train de découvrir qu'il y a d'autres façons de profiter des compétences de gens qui ont quitté le pays au-delà du simple retour. Les Haïtiens du Canada par exemple apportent des contributions d'experts à leur pays d'origine.
Les universités virtuelles vous semblent-elles une solution d'avenir pour les pays pauvres ?
Le paradoxe du virtuel, c'est que les étudiants qui ont le plus besoin d'être aidés à accéder à l'enseignement supérieur sont également ceux qui pourront en profiter le moins. Car l'université virtuelle exige de l'étudiant une bonne capacité d'autonomie.
Par ailleurs, les équipements informatiques et l'infrastructure de télécommunication ne sont pas prêts dans de nombreux pays en développement. La Banque mondiale a réalisé une étude sur la connectivité en Afrique qui montre qu'une université africaine a autant de bandes passantes qu'un ménage aux Etats-Unis pour un coût bien supérieur qui plus est !
Il me semble que les nouvelles technologies n'offrent pas encore une alternative sérieuse et que l'avenir est plutôt dans une combinaison entre enseignement présentiel et à distance, grâce à un accès partagé aux ressources.
Propos recueillis par Brigitte Perucca, de Jamil Salmi, de la Banque mondiale
sur www.lemonde.fr
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