En prenant le parti de réprimer sans état d'âme la révolte des OUIGOURS à URUMQI, les autorités chinoises prennent un grand risque. Car cette révolte est à la fois ethnique, économique, religieuse et politique, et affecte à des degrés divers de multiples peuples et nations.
Ethnique ? Les populations OUIGOURS sont turcophones. Elles font partie d'un grand ensemble de peuples dont les langues voisines sont parlées de la mer Egée au Pacifique : en Turquie, en Azerbaidjan, au Turkmenistan, en Ouzbekistan (avec des nuances et des exceptions, car une partie des habitants de l'Ouzbékistan parle le tadjik, une langue iranienne), au Kazakhstan, au Kirghizistan, en Yakoutie. La solidarité des peuples turcophones, au temps de l'internet et de la mondialisation, est une réalité qui est en train de prendre forme. On peut douter que les Kazakhs, qui par ailleurs et de mauvais gré hébergent plusieurs millions de clandestins chinois sur leur sol, et ont des frères qui habitent le XINJIANG (en Dzoungarie, cette partie du XINJIANG située entre les Monts Célestes et la portion occidentale des Monts Altaï), on peut douter, disais-je, que le malheureux sort des turcophones du XINJIANG les laisse indifférents.
Économique ? Absolument majoritaires il y a encore quelques décennies, les OUIGOURS ont vu leur pays peu à peu colonisé par des populations han, chinoises, qui sont maintenant presque plus nombreuses qu'eux, qui bénéficient d'un traitement de faveur de la part des autorités, en raison même de leur statut de pionniers ou de colons ; ils viennent bouleverser le mode de vie traditionnel des OUIGOURS, plutôt pasteurs, nomades, cultivateurs, et non point commerçants ou industriels. URUMQI fait près de deux millions d'habitants. C'est une ville ultra-moderne, avec des voies rapides, des gratte-ciel, des encombrements de toute sorte, du moins dans la partie nouvelle ; les populations han et ouigours n'habitent pas les mêmes quartiers et ne se mélangent pas. Que peut-il sortir de bon d'un tel contraste et d'une telle ségrégation sociale ?
Religieuse ? C'est probablement le point le plus épineux du problème. Les OUIGOURS sont musulmans, et les pays turcophones frontaliers, à quoi s'ajoute l'Afghanistan et le Pakistan, le sont aussi. Les musulmans, emmenés par les Arabes ont infligé aux Chinois, sur le Fleuve Talas, en l'an 751, une mémorable défaite et ont stoppé net l'expansion vers l'Ouest de l'Empire TANG, qui rentrait alors dans un déclin inexorable. En 755, se formait une puissante confédération ouigoure. Cette histoire mémorable est présente dans tous les esprits des habitants de l'Asie centrale musulmane. Et il ne fait aucun doute que la solidarité religieuse va pousser les habitants des pays frères à aider les OUIGOURS.
Politique enfin ? Oui, et ce n'est pas le moindre danger. Un islamisme radical à prétention politique est en train de se développer en Asie centrale. Les différents mouvements qui se réclament de cette mouvance ont des militants, des candidats aux attentats suicides (il y en eu ; cf. "L'islamisme radical en Asie centrale", Cahiers d'Asie centrale N°15/16. Éditions Maisonneuve et Larose, Paris, 2007 ou 2008), des armes, des relais, des soutiens. Les frontières sont relativement perméables pour ces hommes farouches, habitués aux grandes virées dans les montagnes du Pamir, par le Tadjikistan ou l'Afghanistan, ou par les Monts Célestes, sans compter la frontière dzoungare.
Il nous faut donc suivre avec attention les événements du XINJIANG, dans cet énorme chaudron de violence qu'est l'Asie Centrale, à quoi il faut inclure l'Afghanistan et le Pakistan. Nous ne pouvons pas rester immobiles, spectateurs de l'histoire en train de se faire, et qui met en cause l'avenir d'un pays aussi considérable que la Chine.
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