Eurokaz : Pour comprendre la nouvelle politique étrangère de la France...
Le temps n'est plus où Nicolas Sarkozy espérait, après sa présidence de l'Union européenne (UE) et avant l'investiture de Barack Obama, partager le leadership mondial avec le président américain. "Il y a de la place pour deux", se rassurait-il en janvier. M. Sarkozy a le sentiment d'avoir été éconduit par M. Obama. Mais, soutenu par ses nouveaux alliés, il compte revenir en force sur le devant de la scène, en présidant en 2011 le G20, qui réunit les principaux dirigeants de la planète.
Le chef de l'Etat a explicité sa stratégie, en octobre, au Kazakhstan : "Il faut être dans cette région du monde l'Asie centrale, comme je suis persuadé qu'il faut être dans le Golfe, comme je suis persuadé qu'il faut reprendre position en Amérique latine, avec des pays qui sont des têtes de pont, des pays qui sont leaders et avec lesquels la France construira des partenariats du XXIe siècle", a expliqué M. Sarkozy. "J'ai voulu que nous arrêtions de nous disperser. Il ne sert à rien de vouloir être absolument partout dans le monde si, en voulant être partout, on n'est nulle part."
Le ton peut rappeler le tiers-mondisme du ministre des relations extérieures de François Mitterrand, Claude Cheysson, qui voulait fonder en 1981 la politique de la France sur un "trépied" (Inde, Algérie, Mexique), ou la politique du général de Gaulle, qui s'éloigna toujours plus des Américains. Un haut responsable du Quai d'Orsay le réfute : "De Gaulle voulait affirmer une originalité politique et stratégique en pleine guerre froide. Aujourd'hui, l'objectif n'est pas de marquer une troisième voie française dans un monde idéologisé. Nous sommes dans un monde banalisé où il faut faire progresser prosaïquement ses positions", explique ce diplomate.
M. Sarkozy estime ne pas pouvoir être soupçonné d'antiaméricanisme et avoir recouvré sa liberté vis-à-vis de Washington en réintégrant l'OTAN. Son engagement européen et la politique extérieure des Vingt-Sept ne sont pas en cause. Mais il convient de compléter ces leviers par une politique purement française. "Dans la bagarre multipolaire, le problème numéro un est la fin du monopole occidental. L'émergence du G20 à la place du G8 montre que nous n'avons plus le choix", explique un ex-ministre des affaires étrangères, le mitterrandien Hubert Védrine, qui juge "astucieux" de tisser un réseau avec les émergents.
Cette politique ne vaut guère pour les géants que sont la Chine et la Russie, alter ego des Américains, et qui représentent certes des opportunités, mais aussi de lourdes menaces pour les Européens. Ces derniers ont, selon M. Védrine, intérêt à "mutualiser" leurs forces face à des pays qui savent jouer des divisions du Vieux Continent, qu'il s'agisse des livraisons de gaz par Moscou ou de l'attitude vis-à-vis du dalaï-lama face à Pékin, comme l'a expérimenté M. Sarkozy en 2008.
Le partenariat privilégié idéal est celui qui s'esquisse avec le Brésil : une absence de conflits et un mélange d'intérêts bien compris, qui mixe alliance politique sur la gouvernance mondiale, moisson de contrats industriels et transferts de technologie massifs ainsi que volonté commune de s'émanciper de la tutelle américaine. M. Sarkozy soutient le président Lula pour qu'il décroche un siège au Conseil de sécurité des Nations unies ou les Jeux olympiques de Rio (tant pis pour la candidature européenne de Madrid), en espérant un coup de main dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les deux hommes entonnent les mêmes accents altermondialistes au G20. La France fournit le meilleur de sa technologie, celle des avions Rafale, qui permettra au Brésil de bâtir une industrie de défense autonome.
Dans le Golfe, la France a choisi, face à l'Iran, les Emirats, terre d'implantation historique de Total, client de longue date de l'industrie de défense française, et "deuxième meilleur choix" après l'Arabie saoudite, verrouillée par les Etats-Unis. Il y a installé une base militaire et espère y construire des centrales nucléaires.
Avec le Kazakhstan, Paris compte garantir un accès aux hydrocarbures, à l'uranium et à l'Afghanistan. En échange, la France aide cet ancien vassal de Moscou à développer son industrie spatiale et à conforter son rôle politique. Elle a soutenu son président Noursoultan Nazarbaiev pour qu'il préside, en 2010, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), en dépit d'élections jugées non démocratiques par cette organisation. L'essentiel pour M. Sarkozy est de s'allier avec des pôles de stabilité, qui tempèrent leurs turbulents voisins.
Le partenariat avec l'Inde, initié par Jacques Chirac en 1998, progresse au rythme du sous-continent, mais Paris se juge conforté par l'absence de stratégie européenne, bloquée notamment par le refus des pays du nord d'aider New Delhi dans le nucléaire civil. M. Sarkozy s'est engagé dans la brèche et a engagé une collaboration dans ce domaine.
L'Elysée reconnaît des ratés, notamment au Mexique : la visite de M. Sarkozy, en mars, fut un demi-échec en raison de la polémique sur la Française Florence Cassez, emprisonnée au Mexique pour enlèvements. Paris n'a pas identifié de partenaire privilégié en Asie du Sud-Est, tandis que le Proche-Orient est trop compliqué pour obéir à des règles simples. L'alliance avec l'Egypte de Hosni Moubarak, qui copréside à 80 ans l'Union pour la Méditerranée avec M. Sarkozy, est à la peine, surtout depuis la guerre à Gaza. Enfin, en s'opposant à son adhésion à l'UE, le France se prive d'un allié décisif, la Turquie, dont l'influence s'étend du Caucase à l'Afghanistan.
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