Dans son nouveau roman, Géraldine Maillet évoque avec grâce et profondeur le destin tragique de Ruslana Korshunova, météorite des podiums.
C'est une ex-taille zéro (plus de 1,80 mètre, moins de 50 kilos) aux cheveux sombres, à l'œil noir et au nez pointu. Plutôt « classic chic », elle apprécie le XVIe arrondissement de Paris car «bourge, snob, suffisant et mort après 19 heures». Géraldine Maillet, ancien « top » reconvertie dans l'écriture, est une ex de la «chick lit int» (Internationale de la littérature de poulette). Avec son nouveau roman, elle dit adieu aux ébats et débats des pintades mélancoliques engluées dans les marais du bovarysme postféministe (Sex and the City, Bridget Jones and Co) et rejoint les rangs des (bons) écrivains.
C'est une ex-taille zéro (plus de 1,80 mètre, moins de 50 kilos) aux cheveux sombres, à l'œil noir et au nez pointu. Plutôt « classic chic », elle apprécie le XVIe arrondissement de Paris car «bourge, snob, suffisant et mort après 19 heures». Géraldine Maillet, ancien « top » reconvertie dans l'écriture, est une ex de la «chick lit int» (Internationale de la littérature de poulette). Avec son nouveau roman, elle dit adieu aux ébats et débats des pintades mélancoliques engluées dans les marais du bovarysme postféministe (Sex and the City, Bridget Jones and Co) et rejoint les rangs des (bons) écrivains.
Le Monde à ses pieds * raconte l'histoire de la très courte vie du mannequin kazakh Ruslana Korshunova. Née à l'est (Kazakh stan), morte à l'ouest (New York), cette étoile filante de la mode a survolé le monde du nord au sud, éclairant ses podiums, illuminant ses défilés, illustrant ses magazines, pour finir tel un soleil « crashé » sur un trottoir new-yorkais le 28 juin 2008.
Flash-back. Ruslana a 15 ans. Elle vit à Almaty (Kazakhstan) dans les marges ghettoïsées de l'empire. Un grand nulle part. Elle est très belle : c'est Blanche-Neige ; elle est ambitieuse : c'est Rastignac ; elle est pauvre : c'est Cosette. Sa mère récure les chiottes : pas très Guerlain. Ça respire son conte de fées, mais il n'aura pas lieu. Par la grâce d'un photoreportage, Ruslana est repérée par une méchante sorcière (Carrelyn Watts). Cette Carabosse-maquerelle va la transformer en étoile du mannequinat. Ruslana fait le tour de la Terre. Elle est la plus belle, une idole, une vierge profane aux pieds de laquelle le monde entier se prosterne.
Gloire et beauté, donc. Ne manque que l'amour. Il ne viendra pas. La vie d'un top est un sacerdoce, une ascèse. Il faut payer le prix. D'abord celui de son corps, auquel il faut renoncer. Les mannequins doivent se soumettre aux formes quasi pures des couturiers. Leur corps doit disparaître derrière le vêtement, devenir un support quasi invisible : un cintre. L'anorexie n'est pas un dommage collatéral, elle est inhérente au métier, elle est la tyrannie du concept (taille zéro, ça a le mérite d'être clair : la personne n'existe pas !). Ruslana expérimente cette soumission. Quand elle mange trois dattes et deux sushis arrosés de thé vert, c'est l'orgie. Après, elle peut vomir.
Mais il y a pire qu'un corps rétif au modèle : les sentiments qui pourraient l'animer. Ces parasites troublent les surfaces, dérangent les lignes, affectent le teint, marquent les peaux. Ils nuisent à l'idéal. Ils doivent être bannis. La passion est un sens interdit. D'où le conseil de Carrelyn Watts : «Donne ta fraîcheur, ta beauté, ta grâce et planque le reste. Tes sentiments, enferme-les à double tour.» L'ascèse suicidaire se poursuit donc, car le reste, c'est l'âme, chose inutile et grossière (ça bouge), à laquelle il faut renoncer.
Son âme s'éteint quand son œil s'éveille
Mais sans elle, les réjouissances sont vite limitées. Indigence affective et jouissance light sont au menu. Ruslana voit ses amitiés se défaire doucement, ses liens familiaux disparaître, ses plaisirs charnels réduits à de vagues et doucereuses étreintes dans des hôtels. Pour son malheur, elle n'est pas idiote. Plus elle avance, plus son indifférence croît. Plus son âme s'éteint, plus son œil s'éveille. La voilà témoin sans complaisance de sa disparition progressive, de sa néantisation intime. Or, comment pourrait-on aimer le rien ? Tout sentiment ou désir éprouvé pour elle lui paraît une imposture. Ceux qui l'aiment soit la trompent, soit se trompent. Le piège se referme sur la petite fille « modèle » : pour vivre, il faudrait être, et pour être, abandonner la réussite, ne plus être un idéal, retourner à Amalty récurer les chiottes, disparaître, cesser d'être...
Géraldine Maillet délaisse le rose à joue pour entrer dans la chair souffrante. Avec son style épuré, son ton laconique et léger, ses enchaînements fluides, elle nous invite à suivre l'accomplissement tragique d'une petite fille pauvre, belle et ambitieuse. Nous la voyons littéralement et littérairement devenir pure apparence animée de l'extérieur. Nous éprouvons sa désincarnation froide et progressive. Nous contemplons cette vierge artificielle livrée aux désirs des masses. Elle est moins que zéro, elle le sait. Lorsque elle s'écrase sur un trottoir de Wall Street, nous savons, nous, qu'elle est morte bien avant de toucher le sol.
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2 Comments:
Je l'ai lu ce livre, et je le conseille à tout le monde!
Il est passionnant, magnifique presque...magique!
en respectant bien cette personne, je voudrais quand même ajouter qu'elle avait le choix....Et le Kazakhstan, et Almaty ce n'est pas 'un grand nulle part', et à Almaty il y a beaucoup de metiers sauf nettoyer des w.c. Il y a des agens de model aussi ou elle aurait pu partager ses connaissances et ses expériences... si elle ne pouvait plus continuer.....
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