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mardi 19 janvier 2010

La lente agonie d’une mer

La mer d'Aral, jadis considérée comme le quatrième plus grand lac du monde, est en voie de devenir un vaste désert salin. Plus qu'un drame écologique, la lente disparition de cette mer est aussi celle d'une génération.

Ce drame commence vers 1960. De jeunes économistes moscovites décident alors que l'Asie centrale, vaste dépression désertique alimentée néanmoins par les fleuves Amou-Daria et Syr-Daria, se convertira à la culture du coton, le but étant de spécialiser chaque république dans un ou deux domaines de l'économie pour équilibrer la production dans tout l'empire soviétique. Seulement, il y a un problème : la région se prête mal à la culture du coton. Non seulement les terres arables sont rares, mais la plante elle-même est très exigeante en eau. Il faut donc détourner la ressource hydraulique massivement et user de quantités industrielles de pesticides. Les prélèvements faits le long des deux fleuves sont de plus en plus lourds, et bientôt ces derniers ne sont plus en mesure de nourrir la mer vers laquelle ils coulent. Comme la région est très chaude en été, les précipitations ne suffisent pas à compenser l'évaporation intense. Le niveau de la mer commence donc à décliner, puis la mer se divise en deux en 1989. En 2004, elle avait perdu plus de 80 % de son volume.

La catastrophe ne se limite toutefois pas au strict plan hydrique. Avec la disparition de la mer, c'est aussi l'économie locale qui est touchée. Les pêches de la mer d'Aral assuraient autrefois 20 % de celles de l'ensemble de l'Union Soviétique. La terre, contaminée, est devenue incultivable. Selon Gérard Dies, du magazine L'État de la Planète, 80 % de la population du bassin aralien est maintenant au chômage. « Trois années de sécheresse successives et les incessantes tempêtes de sable ont réduit l'agriculture à néant et la pêche a quasiment disparu de la région », explique-t-il. Certains villages, autrefois à un ou deux kilomètres de la mer, sont aujourd'hui à plus d'une centaine de kilomètres des côtes.

Le recul du rivage a laissé à découvert d'immenses dépôts salins ainsi que des quantités phénoménales de sulfates issus de pesticides que le vent balaye sans obstacle vers les terres arables. À cela s'ajoute « plus de 200 millions de tonnes de poussière par an [qui] sont soufflées sur la région de la mer d'Aral, avec pour conséquence de graves impacts sur la faune et la flore, et l'assèchement de près de 300 km de rivages », relate M. Dies.

Des solutions ?

Plusieurs initiatives ont été prises pour reconstituer la mer, allant des idées les plus prudentes aux plus démesurées. Par exemple, des paysans kazakhs avaient réussi à amasser plusieurs millions de dollars pour la construction d'une digue pouvant retenir l'eau de ce qui est désormais la Petite mer d'Aral, projet qui avait alors attiré les promesses de financement de la Banque Mondiale.

Mais si certaines institutions internationales ont fait preuve d'optimisme, les rivalités internes des cinq ex-républiques soviétiques ont rapidement fait fondre les espoirs de la population locale. Comme le rapporte J. A. Allan, spécialiste des ressources en eau à l'Université de Londres, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan « ont rivalisé entre eux pour obtenir de l'aide internationale au lieu de coopérer pour résoudre leurs problèmes ». En effet, les pays d'Asie centrale sont en compétition directe pour l'irrigation, dont chacun espère augmenter sa part, puisque l'eau, dans cette région, se raréfie. Avec la disparition de près de 90 % du volume de la mer d'Aral, ce sont toutes les précipitations de l'Asie centrale qui sont réduites. Pourtant, la population continue de croître…et la production aussi.

Les gouvernements hésitent, mais les déserts avancent

Selon Frédéric Lasserre, expert en géopolitique de l'eau et professeur de géographie à l'Université Laval, cela s'explique surtout par la profonde méfiance qu'éprouvent les pays de la région les uns envers les autres, compte tenu du découpage des frontières arbitraire et de l'imbrication des différentes ethnies dont se revendiquent les pays. Qui plus est, le réseau hydrographique rend difficile la concertation des pays. En effet, les fleuves Syr-Daria et Amou-Daria prennent naissance dans les républiques du Tadjikistan et du Kirghizstan puis coulent longuement sur les territoires turkmène et ouzbek, où ils sont soumis à un drainage intensif, avant d'atteindre la mer d'Aral, situé dans le sud-est du Kazakhstan, à cheval sur la frontière avec l'Ouzbékistan. Or, les deux premiers États sont très pauvres. Le Tadjikistan, plus particulièrement, puisqu'il se remet d'une guerre civile. Les trois autres États, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et le Turkménistan, possèdent, quant à eux, de très grandes quantités de pétrole et de gaz. L'échange énergie/électricité, nécessaire au développement économique régional, est très difficile, puisque chacun cherche à orienter son commerce vers l'extérieur et non pas vers l'intérieur de l'Asie centrale.

Par ailleurs, ces pays, exception faite du Kazakhstan, sont largement autoritaires. Dans ces régimes très répressifs, le discours nationaliste se double du repli sur soi. Les chefs d'État, véritables autocrates dans le cas des présidents de l'Ouzbékistan et du Turkménistan, désavouent donc toute forme d'intégration régionale, préférant les accords de tête à tête. Frédéric Lasserre ajoute que si de tels accords ont bel et bien été signés pour assurer la bonne gouvernance des deux fleuves, «rien ne fonctionne cependant au niveau régional».

Alors que les gouvernements d'Asie centrale continuent de repousser l'échéance, faute de consensus et de budget, la population, elle n'a pas baissé les bras. Elle s'est tout simplement résignée à sauver ce qui reste de la mer d'Aral pendant qu'il est encore temps.

Par Pierre-Olivier Bussières, publié sur http://impactcampus.qc.ca

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